Suite à ses performances régulièrement impressionnantes, Johann Zarco doit maintenant faire face à des demandes journalistiques de plus en plus nombreuses. Il en est de même pour Hervé Poncharal, son Team manager, et, du coup, nous avons préféré converser avec lui immédiatement après son retour en France, plus longuement qu’au milieu d’une forêt de micros. Avec du temps et un certain recul…
Hervé, cette tournée outre-Atlantique était-elle fatigante ?
« Oui, nous sommes fatigués. La nuit de dimanche à lundi a été courte, le matin nous avons fait Austin-Detroit où nous sommes restés cinq heures, puis on a fait Detroit–Paris, et 3h30 d’attente à Paris avant de reprendre l’avion pour Nice et de faire deux heures de route pour arriver à Bormes. Donc oui, c’est forcément fatiguant mais nous sommes rentrés de cette belle tournée satisfaits car elle a été positive. Nous étions en tête du premier Grand Prix avant de chuter, puis cinquième en Argentine, puis de nouveau cinquième à Austin, mais cette fois à seulement deux secondes du podium. Donc cette entame de championnat est loin d’être désagréable.
J’ai été très surpris et bluffé par Johann. Avant le premier Grand Prix, au Qatar, il me disait qu’il n’arrivait pas à faire ce que faisait Jonas, car ce dernier s’accoutumait plus vite que lui à la MotoGP. Or, depuis que le championnat a commencé, on a vu que les choses se sont radicalement inversées et que Johann explose et fait des trucs sublimes, il n’y a pas de termes assez forts pour dire ce qu’il fait, alors que Jonas fait correctement son travail. Il n’y a rien à dire puisqu’il fait 10, 6 et 11, mais n’a pas eu le même électrochoc positif que Johann. C’est plus compliqué et c’est d’ailleurs ce que m’avait dit son entourage qui avait travaillé avec lui lors des saisons précédentes. »
Cela semble effectivement un déclic important car, l’année dernière, Johann avait un peu le même comportement que Jonas cette année : bien souvent, il ne prenait pas d’excellents départs et perdait quelques places durant le premier tour avant, quand c’était possible, d’entamer une solide remontée…
« Oui. Il faudrait lui demander directement mais voici mon
analyse. L’année dernière, il ne voulait pas faire de boulette et
c’est très facile d’en faire dans le premier tour en Moto2. Il
savait dans sa tête que, de toute façon, il pouvait jouer la
victoire sur quasiment tous les circuits car c’était quand même lui
le champion en titre et qu’il connaissait le niveau de ses
adversaires. Donc il pouvait se permettre de se dire « je
pars correctement puis je regarde et j’étudie ».
Plusieurs fois, je vous avais dit qu’il avait fait des courses
sublimes, notamment à Barcelone et en Autriche, avec des premières
moitiés de course dans le paquet, à regarder, puis à porter
l’estocade après avoir bien étudié.
C’est vrai qu’en MotoGP, lui, ce qu’il nous dit, c’est qu’il veut
absolument essayer de partir dans le bon wagon pour apprendre.
Parce qu’il dit que c’est en roulant avec Rossi, Vinales, Marquez
et Pedrosa qu’il peut apprendre. C’est en se battant avec les top
guns que l’on en devient un. »
D’accord, mais cela veut dire que, paradoxalement, il est moins prudent cette année en arrivant en MotoGP que lors de son deuxième titre en Moto2…
« Oui, oui. Mais l’année dernière, et encore une fois c’est toujours mon analyse, il avait fait un gros pari, parce que beaucoup de monde auraient pu dire « tu vois, on t’avait dit de ne pas tenter de doubler ton titre, tu aurais dû passer en MotoGP ». Donc il avait quand même certainement une grosse pression. Pour le moment, ce qu’il me dit, c’est qu’il n’est pas là pour gagner le titre et qu’il a donc moins de pression. Bien sûr, il y en a quand même une, mais il peut se permettre plus de choses et c’est pour cela qu’il a quand même relativement bien digéré le Qatar. OK, il n’a pas ramené de points, mais il n’est pas là pour gagner le titre. Et c’est peut-être aussi quelqu’un de différent dans sa tête, et cela, il faudrait lui demander directement. »
En tout cas, quand on le voit et qu’on l’entend, effectivement, il apparaît beaucoup plus épanoui…
« Oui, oui, oui. Et vous avez vu comment il parle aux médias,
comment il s’offre au public et se prête à ses demandes. Bien
souvent, nous étions le soir au restaurant et des gens passaient en
disant « ah, Johann ! ». Et alors qu’il est en
train de manger, il se lève et se met à côté des personnes pour
faire un selfie. Il est différent, plus volubile, plus souriant et
semble heureux.
Et au-delà de ça, on a souvent dit qu’il était arrivé là parce que
c’était un travailleur acharné mais qu’il n’était pas forcément le
plus doué. Alors, je peux vous le dire : ce gars est un surdoué !
C’est clair ! Et d’ailleurs, le paddock entier est sous le charme
et c’est le coup de foudre. Même les Italiens qui sont toujours
très chauvins et ne parlent que de leurs pilotes viennent nous en
chanter les louanges. Et les Espagnols aussi, tout comme les gens
de la Dorna et d’une façon générale, tout le paddock. Tout le monde
le félicite en permanence et c’est vraiment le coup de foudre de
l’ensemble du paddock MotoGP. Même chez les journalistes, qui ont
toujours un peu leurs petits favoris, il fait l’unanimité. Je n’ai
pas eu une seule fois un journaliste qui m’ait dit
« Zarco ? Bof… ».
Il y a donc un vrai effet Zarco en dehors de la France ?
« Ah oui ! En Argentine, et même à Austin, il y a une vraie Zarcomania. Cela se voyait à chaque fois que nous allions dans la partie commerciale du paddock, là où il y a tous les stands de vente de vêtements ou d’accessoires. Ce n’est pas un phénomène uniquement franco-français, ça c’est clair. Et on a l’impression qu’il en est heureux, qu’il en jouit. Cela ne le perturbe pas. »
Que répondre à ceux qui disent qu’en France, dès qu’on a un pilote prometteur, on le porte au pinacle sans le laisser mûrir ?
« Écoutez, c’est sûr que cela fait partie de ce qu’est aussi un grand champion. Un moment donné, quand vous performez, arrivent la notoriété, les sollicitations, les attentes, la pression. Et les grands, quel que soit le sport où ils évoluent, se servent de cela comme d’un moteur alors que cela est trop pour d’autres, et cela leur fait commettre des erreurs. Donc, il faudra voir, mais le gros avantage qu’il a, c’est que c’est quelqu’un de normal. Pas sur la piste, hein (rires), mais dans la vie, ce n’est pas le gars bling-bling, ce n’est pas le gars qui cherche à épater, ce n’est pas le gars qui veut changer de vie et qui va s’acheter des bagnoles hyper chères et tout le tralala. Il est heureux de rentrer chez lui, avec son environnement, avec les gens qui l’ont fait, avec les gens avec qui il est bien. Il a des plaisirs simples et c’est ça qui le rend heureux. Aujourd’hui, je ne vois rien qui change par rapport à tout ça. Et quand tu es capable de rester celui que tu as toujours été, et que c’est ça qui t’a emmené là où tu es arrivé, tu te fais moins de soucis pour ce qui va se passer.
À Austin, après la course, j’étais super heureux. Il a fait une
course magnifique. Selon moi, c’est la plus belle car même s’il a
fait le même résultat qu’en Argentine, il y a eu beaucoup moins de
chutes devant lui, et surtout, en temps, il est beaucoup plus près
du deuxième. Il a fait la moitié de la course dans la roue de
Rossi. Donc oui, c’est la plus belle performance qu’il ait faite et
nous étions aux anges, et malgré l’incident avec Rossi qui a fait
beaucoup plus de bruit que ce qu’il méritait, uniquement parce que
c’était Rossi, Johann est resté très zen.
Parce qu’à un moment donné, les médias venaient uniquement lui
parler de cela, de ce qu’il avait fait, de ce qu’avait dit Rossi en
conférence de presse, etc. Il aurait pu s’énerver ou les envoyer
promener, mais non, il est resté très zen et a expliqué patiemment
et à de nombreuses reprises qu’il avait fait ce qu’il devait faire.
On sent qu’il est bien. Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose
qui le perturbe et, en tout cas, même si lui, il s’ouvre comme une
belle fleur, il ne change pas sa nature. »
Parlons un peu de la dernière course…
« Alors contrairement à ce que certains ont dit, Johann
est parti avec un pneu arrière médium. Il n’est pas très bien parti
puis a fait un premier tour de folie, ce qui d’ailleurs a fait que
Crutchlow a rajouté sa couche aux vieux qui se lamentent (rires).
Après, en début de course, il était plus vite que Rossi et est
remonté sur lui. D’ailleurs, il avait le meilleur tour avant que
Márquez accélère et, je crois, il conserve le troisième meilleur
temps de la course. Johann était vraiment bien durant toute la
première moitié de course puis, lors de la seconde, il nous a dit
qu’il avait découvert des choses jusqu’alors inconnues. Sur la
première partie de course, il était un peu plus vite que Rossi, par
contre, un moment donné, il a dit « l’avantage de
Valentino, c’est que quand la moto a perdu du poids, quand le pneu
arrière a perdu en grip, il s’adapte, il fait évoluer son pilotage
et continue tour après tour à être aussi régulier. Alors que moi, à
chaque tour, je faisais toujours une ou deux petites boulettes
d’inexpérience. Et c’est comme ça que j’ai un peu perdu le contact,
que je me suis un peu fatigué, et sur la fin j’avais un peu moins
de grip que Crutchlow ».
Et de manière très
intelligente, il n’a pas cherché à tout prix à résister ou à
s’accrocher. Il savait qu’il avait quasiment cinq secondes d’avance
sur le suivant et a donc ramené la moto à la maison.
13 ou 11 points, cela ne change pas grand-chose et, en tout cas, il
était très content d’avoir pu suivre le rythme des leaders en début
de course, et est très content aussi d’avoir vécu cette deuxième
partie de course aussi rapide qu’elle a été et où il a appris plein
plein plein de choses. »
C’est vrai que lorsque l’on regarde la courbe de Rossi, elle est régulièrement incroyablement régulière…
« C’est ce que Johann a dit. C’est impressionnant quand tu le suis. Tu vois que le gars connaît par cœur sa moto, il sait et devance quasiment la manière dont les pneus vont se dégrader, comment la moto va se comporter en ayant de moins en moins d’essence. Il connaît le MotoGP par cœur, il connaît sa moto par cœur et c’est un gars très très intelligent. Donc Johann a dit qu’il avait beaucoup appris et, d’un certain côté, c’est ce qui nous met un peu les boules. Rossi est vraiment l’idole de Johann. Vous vous rappelez, vous en aviez parlé avec lui : il était tout ému quand il a enfin pu rouler avec Rossi. Tout d’abord à Valence mais surtout au test de Sepang. Et puis voilà, à Austin, il y a eu cet incident que tout le monde a beaucoup monté en épingle, et je pense que, quand même, quelque part, ça l’a sans doute un peu gêné. Parce que c’était Rossi. »
Peut-être, mais soyons honnêtes : toute la presse a fait ses choux gras sur cet incident, nous compris, parce que Rossi a fait sa déclaration en conférence de presse, mais au final, il n’y a rien !
« Bien sûr qu’il ne s’est rien passé. Mais si cela n’avait pas été avec Valentino Rossi, personne n’en aurait parlé. Je n’en ai parlé à personne, ni à Johann, ni à mon équipe et encore moins dans les médias, mais, sur le moment, cela m’a beaucoup énervé. Aujourd’hui, je prends du recul et suis bien évidemment corporate, mais je trouve quand même cela un petit peu dommage. Tout ce début de polémique n’a eu lieu que parce qu’il s’agissait du numéro 46. On n’est pas en Moto2 ? Cela veut dire quoi ? On aimerait que la MotoGP soit aussi animée que la Moto2, et d’ailleurs ça l’est par moment. Márquez l’a dit, l’affrontement avec Vinales n’a pas encore eu lieu mais cela va arriver. C’est ce que tout le monde aime voir. Nous, les équipes indépendantes, on a déjà des pilotes qui ont moins de bouteille, on a des motos qui ont des specs un peu différentes et on a des budgets qui n’ont rien à voir. Donc c’est un peu compliqué pour nous, car quand on fait des performances moyennes, on a des remarques, même si elles sont déguisées, indirectes et politiquement correctes, comme quoi on n’avance pas. Et si, de temps en temps, tu arrives dans une situation aussi rêvée que ce qui s’est passée dimanche, on te le reproche presque en te faisant comprendre qu’il est très risqué de tenter de dépasser les bleus au risque de les faire tomber… »
Cela a été clairement énoncé ?
Silence…
(Rires) Changeons de sujet. Pourquoi Cal Crutchlow focalise-t-il négativement sur vos pilotes ?
« Effectivement, depuis le début de l’année, il critique les pilotes Tech3. Même si ce n’est pas dit comme ça, quand on écoute ce qu’il dit, ça se résume à « la Honda c’est une bouse et nous on est des supers meilleurs pilotes ». Mais à Austin, la Honda fait un, trois et quatre. Alors il faut m’expliquer… »
Concernant la participation de vos pilotes aux 8 heures de Suzuka, c’est définitivement non ?
« Tout à fait. Les deux pilotes, Johann Zarco et Jonas Folger, souhaitent cette année se concentrer exclusivement sur leur saison de MotoGP rookie. Apprendre, apprendre, apprendre. Ils n’ont pas envie de se disperser, de prendre des risques et de se fatiguer. Je les comprends tout à fait et ça me va très bien. »
Dernière question, quelles mesures allez-vous prendre pour faire face à la Zarcomania au Mans ?
« (rires). Johann, je l’ai vu arriver au Texas un peu
fatigué. D’ailleurs, le premier soir, il n’était pas très bien et
la clinique mobile s’est bien occupée de lui. Il a dîné tôt et
était au lit à neuf heures. C’est difficile, pour un jeune pilote
rookie, d’avoir à gérer tout ce qu’il y a à gérer. Donc je suis
tout à fait conscient qu’il va falloir faire en sorte qu’on le
laisse travailler et qu’on le protège. Comment ? C’est difficile à
dire car c’est important qu’il y ait un bon équilibre. Je suis
aussi tout à fait conscient que tous les gens qui le soutiennent
pour venir le voir, il ne faut surtout pas les éviter. De plus,
Johann a envie de garder ce lien avec le public et ses
supporters.
Donc on va en parler avec toutes les personnes concernées, à
commencer par Johann lui-même, Laurent Fellon, Claude Michy, les
sponsors, et je pense que l’on va trouver un bon équilibre pour
pouvoir contenter le public et ses fans tout en permettant à Johann
de pouvoir se concentrer sur son travail pour pouvoir faire une
perf. Car, à la fin, c’est ce que tout le monde souhaite qu’il se
passe. »