Les Ride Eight Devices, les dispositifs de réglage de hauteur de cadre, continuent à se développer sous l’impulsion de Ducati et mettent les autres constructeurs dans une position gênante.
Il y a quelques décennies, en s’inspirant des automobiles, on cherchait à faire les motos les plus basses possibles en pensant qu’un centre de gravité bas favoriserait les passages en virage, en plus d’offrir une surface frontale réduite pour gagner en vitesse de pointe.
On a donc vu les pilotes s’allonger de plus en plus sur leur moto dotée de débattement très réduits, et, parfois même, les réservoirs passer sous le moteur, comme sur la ELF-X…
C’était oublier qu’une moto n’est pas une voiture et qu’un
centre de gravité bas nuisait aux transferts de charge, les
phénomènes indispensables pour avoir de l’appui sur la roue avant
au freinage et sur la roue arrière à l’accélération, et empêcher
que les pneus n’offrent l’adhérence du buis sur de la glace…
Au fil des ans, les motos ont donc gagné en hauteur, pour le plus
grand bonheur des pilotes qui pouvaient ainsi martyriser leurs
pneus dans les phases de freinage et d’accélération, et, au
passage, prendre plus d’angle en virage grâce à une garde au sol
améliorée.
La géométrie des motos sportives semblait donc globalement figée, jusqu’à ce qu’un certain Luigi Dall’Igna dote ses Ducati d’un système abaissant l’arrière au moment du départ, par la pose d’un vérin hydraulique (commandé manuellement) sur le link de la suspension arrière. Durant cette phase d’accélération, grâce entre autre aux progrès réalisés entre-temps par les pneumaticiens, les motos sont maintenant limitées par le cabrage qui induit automatique une réduction de puissance par l’électronique: donc avec l’abaissement de l’arrière, centre de gravité plus bas = moins de cabrage = moins de limitation électronique = meilleure accélération.
Tous les autres constructeurs ont adopté le principe, soit en abaissant ponctuellement l’arrière, soit en abaissant ponctuellement l’avant, ce qui revient exactement au même pour le centre de gravité, seul élément qui compte dans ce cas. Bien sûr, il n’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’en abaissant et l’arrière et l’avant, on abaissait encore un peu plus le centre de gravité…
Mais la vraie nouveauté, c’est que les pilotes Ducati ont aussi commencé à se servir de cette fonction en sorties de virage, alors qu’elle était initialement seulement destinée aux départs, là encore pour lutter contre le cabrage. Puis parfois au freinage, toujours pour abaisser le centre de gravité et lutter cette fois contre le décollement de la roue arrière. Aleix Espargaró s’est ému récemment de ce surcroît de travail, ce qui n’est pas le cas de tout le monde…
Johann Zarco : « Dangereux, je pense
que ça ne l’est pas du tout ! Oui, ça nous fait accélérer plus
mais ce n’est pas dans des endroits vraiment dangereux : c’est
quand tout est droit. Maintenant, avec l’aéro, on est encore plus
sûr quand on prend de la vitesse. Et même ce device, il peut
parfois pouvoir aider au freinage donc ça reste intéressant. Mais
c’est vrai que les MotoGP deviennent de vrais dragsters.
À chacun son style : il y en a qui aiment bien l’activer lors du
freinage, d’autres dans le virage, d’autres à la sortie du virage.
Moi je suis plutôt de ceux qui l’utilisent au moment où je vais
relâcher mon corps, je l’active au point de corde. Ça dépend
vraiment du style et c’est un coup à prendre : au début, on se dit
qu’il y a tellement d’autres choses à penser que ça va nous faire
perdre du temps en pilotage, mais quand on commence à l’utiliser
correctement, ça apporte tellement sur les accélérations qu’on se
force à l’utiliser. Après, ça devient un peu automatique et c’est
là où c’est bon de voir ce qu’on peut faire quand on s’adapte. Je
ne sais pas comment on peut vraiment mieux faire. C’est dur à dire.
Comment le limiter ou est-ce qu’on est au bout du truc, je ne sais
pas. Ça reste du développement intéressant parce que quand tu vois
le matos, c’est impressionnant ! Par contre, les mécanos pourraient
avoir une prime, parce que entre il y a quatre ans et maintenant,
ce n’est plus le même boulot qu’ils font (rires). Si, mais c’est
plus long. »
Un peu paradoxalement, on se retrouve donc, des décennies après les premières tentatives, à revouloir des motos basses tout le temps… sauf dans les virages eux-mêmes, où les angles pris aujourd’hui ne le permettent d’autant moins que le pneu arrière est large (plus le pneu est large et plus il faut prendre de l’angle pour pouvoir passer à la même vitesse).
Telle était la situation jusqu’à la fin d’année dernière, avant que l’ingénieur en chef de Ducati, encore une fois, n’ait utilisé en roulant un système qui baisse aussi l’avant lors des derniers essais hivernaux. Aprilia avait été le premier constructeur à faire une interconnexion entre l’avant et l’arrière, l’année dernière ponctuellement, mais celle-ci avait sans doute comme seul but de se servir de l’avant pour agir sur l’arrière. Là, chez Ducati, c’est bien un système d’abaissement de l’avant qui a été utilisé en roulant, toujours dans le but de pouvoir gagner en accélération en sortie de virage.
Le problème, c’est que le règlement précise bien que tous ces systèmes doivent être contrôlés uniquement mécaniquement ou hydrauliquement par le pilote, et en aucun être automatisés électriquement ou électroniquement. Virage après virage, ça fait quand même beaucoup de travail supplémentaire pour des pilotes qui attaquent déjà au maximum, et les constructeurs ont cherché quelques « astuces » pour leur faciliter la tâche.
Du coup, leurs réponses restent vraiment très évasives sur la question, à l’image par exemple de Takahiro Sumi, chef de projet MotoGP Yamaha, interviewé par Akira Nishimura pour le site japonais mr-bike.jp.
Veuillez nous parler de votre dispositif de réglage de
hauteur de cadre. Le premier que vous avez utilisé était à l’avant
ou à l’arrière ?
« D’abord l’arrière, puis l’avant. L’avant a été ajouté à
partir du Mugello de cette année. »
Alors, il n’y avait que l’arrière en début de saison
?
« Oui. »
L’avez-vous utilisé comme dispositif de hauteur de cadre
en roulant même lorsqu’il n’était qu’à l’arrière ?
« Est-ce possible en termes de règlement ? Je ne peux pas
répondre si on l’a utilisé ou non… (sourire amer). »
Le système Yamaha est-il manuel ou utilise-t-il
mécaniquement une sorte de mécanisme automatique ?
« Il est difficile de répondre à cela. Ce domaine est un sujet
technologique brûlant pour chaque constructeur en ce moment, alors
je m’abstiendrai de répondre. »
Même volonté d’éviter le sujet chez Gigi Dall’Igna, forcément interrogé sur le sujet : « C’est délicat de rentrer dans les détails techniques. « « C’est un nouveau système, et je pense que c’est un domaine dans lequel tout le monde dans le paddock a cherché à progresser durant l’hiver. »
Le règlement 2022 est le suivant :
Suspension et amortisseurs
1. Les systèmes de suspension, de hauteur de caisse et
d’amortissement de la direction à commande électrique/électronique
ne sont pas autorisés. Les réglages de la suspension et des
amortisseurs de direction ne peuvent être réglés que par des
interventions humaines manuelles et des dispositifs de réglage
mécaniques/hydrauliques.
L’utilisation de tout dispositif qui modifie ou ajuste la
hauteur de la moto pendant qu’elle se déplace est interdite, à
l’exception des dispositifs mécaniques/hydrauliques de réglage de
la précharge des ressorts de suspension passive, par exemple, les
boutons de réglage manuel de la précharge de la fourche avant, les
dispositifs de réglage mécaniques/hydrauliques de la précharge du
ressort de l’amortisseur arrière, actionnés par un bouton
manuel.
Pour déterminer la légalité d’un tel dispositif, le jugement du
directeur technique sera sans appel.
En pratique, le directeur technique du MotoGP, Danny Aldridge, vérifie la conformité des systèmes en demandant simplement le débranchement de la batterie: si tout fonctionne sans batterie, les systèmes utilisés sont considérés comme conformes, tout en reconnaissant au sujet du dernier système de Ducati « Jusqu’à présent, Ducati ne m’a rien montré, et ils ne sont pas obligés de le faire avant le Grand Prix du Qatar en mars. »
Finalement, pour savoir s’il faut réglementer davantage cela, voire l’interdire, la raison revient sans doute à un certain Lucio Cecchinello (LCR) qui préfère laisser la main aux pilotes eux-mêmes…
Que pensez-vous du nouveau système d’abaissement de
l’avant des Ducati ?
« Il est inutile de
tourner autour : Ducati est le constructeur qui a apporté le plus
d’innovations au monde du MotoGP ces dernières années. Ils ont
réussi à interpréter les règlements techniques qui interdisent les
actionneurs hydrauliques. En fait, il s’agit d’un actionneur
hydraulique commandé mécaniquement par un câble. Ils ont réussi à
faire un setup de dragster en sortie de virage, et aussi au départ.
Je pense donc qu’ils ont très bien réussi et que les autres
constructeurs n’ont eu qu’à copier le système. Tout cela signifie
plus de complexité au niveau technique, au niveau de la conduite,
et un facteur de stress supplémentaire pour les pilotes. Il est
normal que si les pilotes pouvaient s’en passer, ils le feraient.
Pour l’instant, c’est un dispositif qui améliore grandement la
possibilité d’abaisser le centre de gravité de la moto, qui fait
moins intervenir l’électronique et par conséquent on peut utiliser
plus de couple en sortie de virage, donc plus
d’accélération. »
Donc vous ne l’interdiriez pas ?
« J’ai du mal à avoir une opinion. Je passerais la balle
aux pilotes, pas aux ingénieurs des constructeurs, car ils ne
seront jamais d’accord. Celui qui l’a inventé en profite le plus…
Mais ce sont les pilotes qui en discutent au sein de la Commission
de sécurité. Comme cela a toujours été le cas, la Dorna donne la
priorité aux pilotes lorsqu’il s’agit de décider des règlements
sportifs et techniques. »
On n’a toujours pas fini d’en parler…