Le Grand Prix du Mugello a été un grand cru cette année, et s’il a vu une casse moteur du champion du public réuni sur cette épreuve, il y a tout de même eu une belle bataille pour le gain de la victoire.
Le MotoGP peut s’aborder sous de multiples facettes; celles des résultats des courses, des fans, de la politique, du pilotage, de la technique ou des valeurs humaines, parmi bien d’autres.
Le MotoGP a ceci de beau qu’il offre donc une multitude de niveaux de lecture et, plus on creuse, plus on peut détailler à travers des résultats bruts, des valeurs humaines comme la volonté, la motivation, la stratégie et l’intelligence.
C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui à travers le cas Rossi qui, une fois de plus, nous laisse pantois d’admiration.
En effet, au Mugello, le pilote Yamaha a su se remettre en cause après plusieurs années d’habitudes. De « moins bonnes » habitudes, oserions-nous dire.
Retour en arrière…
1/ Le cas Brembo
Juste pendant le Grand Prix d’Italie 2016, Brembo sort, de
façon un peu inhabituelle, un communiqué de presse déclarant que
Valentino Rossi est le meilleur freineur à San Donato,
au bout de la longue ligne presque droite. Du coup, la presse
reprend sans trop réfléchir les données fournies par le fabricant
italien et renforce le trait ; le meilleur freineur, le roi de San
Donato, etc…
Soit, soit, mais chacun a pu constater qu’en course,
Valentino s’est révélé incapable de passer son coéquipier à
cet endroit…
Il y a donc un loup quelque part. Cherchons le!
Voici donc les données mises en ligne par Brembo le 23 mai, soit le lundi après le Grand Prix: Rossi meilleur freineur, vitesse max. 351 km/h et freinage jusqu’à 91 km/h, le tout en 5,6 secondes et sur 318 mètres.
Hum… Même si la cellule de chronométrage située au tout début du
freinage n’enregistre pas forcément la vitesse maximale, ça
commence plutôt mal, puisque Valentino n’a apparemment jamais
atteint cette vitesse (343.2 en course, 340.4 en essais).
Brembo ne parle donc pas de Rossi. Mais alors de qui? En tout cas,
pas non-plus de Iannone, l’homme le plus rapide du week-end, avec
354.9…
En fait, ces chiffres ne viennent ni des essais ni de la course, mais directement de la fiche publiée par Brembo AVANT le Grand Prix.
On y retrouve bien exactement tous les chiffres cités
(351, 91, 5,6 et 318) et ce ne sont donc évidemment
ni plus ni moins que des estimations, réalisés en projetant plus ou
moins adroitement les données de l’année précédente.
Plus ou moins adroitement, car on constate, entre les fiches 2015
et 2016, que les freinages sont plus courts, mais que
paradoxalement, le temps de freinage bondirait de 19 à
27%; il va falloir nous expliquer comment!
Bref, des chiffres qui demandent à être expliqués.
2/ Le cas Rossi
Les seules données fiables dont nous disposons sont celles fournies
par la Dorna, à savoir, pour ce qui nous intéresse, les
chronos des différents secteurs, et en particuliers ceux des T1 et
T4.
Anciennes données Yamaha
En effet, du moins jusqu’à présent, Valentino Rossi a
effectivement toujours misé sur le freinage de San Donato,
et donc le T1, pour faire la différence avec les autres pilotes. Sa
moto était donc réglée pour cela, avec sans doute un train avant un
peu haut et ferme.
En faisant cela, il détériorait forcément la phase
d’accélération, ce qui était particulièrement visible dans le T4,
où le pilote italien concédait souvent du temps par rapport à ses
adversaires.
Cette année, comme presque à chaque édition, le pilote Yamaha
s’est plaint, en début de week-end, de sa mauvaise performance au
T4. Les chiffres le confirment; 5e au T1, 12e au T4 le vendredi
soir.
Visiblement, ces réglages pourtant insatisfaisants ont été conservés le samedi matin; 6e au T1, 14e au T4…
Mais, il est plus que probable qu’un changement de géométrie important ait eu lieu entre la FP3 et la FP4; 2e au T1, mais surtout 2e au T4 !
Avec une moto déjà bien équilibrée en virages, mais en favorisant l’accélération, évidemment à la sortie de Bucine mais aussi de Poggio Seco, Valentino Rossi s’est retrouvé compétitif partout, et a donc pu obtenir la pole position en qualification; nous restons toujours admiratifs devant cette aptitude à toujours se remettre en cause, après 20 ans de bons et loyaux services!
En course, nous avions donc à faire à une Yamaha #99 réglée pour le freinage, et une #46 optimisée pour l’accélération.
Cela se voit parfaitement sur ce graphique où Jorge Lorenzo est quasi systématiquement plus rapide au T1 mais Valentino Rossi est capable de tout récupérer aux T2 et T4.
(L’avance de Lorenzo sur Rossi à chaque secteur apparaît en bleu. Le gain, secteur par secteur figure en orange; quand il est au-dessus du zéro, Lorenzo est plus rapide, et inversement.)
Dans ces conditions, il était très difficile de passer
en bout de ligne droite, mais si VR46 avait eu l’occasion
de réussir sa manœuvre à un moment donné de la course, nul doute
que l’oiseau se serait envolé. Et vite!
Avant que son moteur ne casse, il s’y est donc essayé à
plusieurs reprises, sans succès, que ce soit à cause d’un point de
freinage faussé par le phénomène d’aspiration, comme il l’a déclaré en conférence de presse, ou tout
simplement, parce que Lorenzo freinait plus tard, comme on
peut le voir sur la vue d’hélicoptère du flux
MotoGP.com.
Nous arrivons maintenant à Barcelone, avec également une longue ligne droite; il sera intéressant de voir si le Docteur adopte la même stratégie…