Certes, Norifumi Abe n’a pas toujours gagné au Japon. Mais une vraie relation s’est développée entre lui et le mythique circuit de Suzuka. Alors revenons sur trois chefs d’œuvre d’Abe-dono restés dans l’histoire.
Nous sommes en 1994. Champion du Japon en 500cc, le jeune Norifumi se voit offrir, comme la coutume le veut, une wildcard pour participer au Grand Prix du Japon à Suzuka. Jusqu’ici, ce n’est pas rare du tout, et certains japonais peu connus réalisèrent de très bonnes performances par le passé : Tadahiko Taira s’élança de la pole position en 1989, devant Lawson, Rainey et compagnie.
Il effectuera sa pige sur une Honda NSR500 du Mister Yumcha Blue Fox, formation aussi inconnue que le jeune Norick. Lors des essais qualifs, sa performance est d’ores et déjà remarquée, mais reste raisonnable. Il s’élance depuis la deuxième ligne devant son compatriote Shinichi Itoh, qui lui aussi crée un peu la surprise depuis le début de saison. Pour l’instant rien de rarissime donc.
Mais à l’abaissement du drapeau à damiers, la terre comprit. Elle comprit qu’un samouraï se leva. Un homme, avec une détermination, une fierté, un esprit de guerrier déjoua les pronostics et livra une performance ahurissante.
Luca Cadalora, parti depuis la pole, vole le départ et s’envole rapidement. Derrière, l’on retrouve Mick Doohan et Kevin Schwantz, des habitués des podiums. Juste derrière eux, une boule de feu. Norick remonte comme une balle, et de nulle part, enrhume Kevin Schwantz aux freins ! Pour rappel, Schwantz est considéré comme l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur freineur de l’histoire de notre sport. Doohan résiste comme il peut mais semble être en difficulté.
Si cet article se consacre à sa relation avec le circuit de Suzuka, Abe était fort ailleurs. Il compte trois victoires (à Suzuka à deux reprises et au Brésil en 1999) et 17 podiums, dont celui-ci en Autriche en 1996 partagé avec Mick Doohan et Alex Crivillé. Photo : Box Repsol.
Incroyable. Nous aurions dit qu’il jouait avec ses adversaires. Il adopte des trajectoires complètement différentes du reste de la grille, et manque de coller des extérieurs aux cadors pour sa première course ! C’est fou. La foule, qui avait préparé ses cordes vocales pour Itoh, crie finalement pour le n°56 aux couleurs étranges.
Si Doohan résiste, il n’est que spectateur de la scène. Par contre, Schwantz l’a en travers. Wildcard ou pas, rookie ou pas, le texan n’est pas la pour amuser le terrain. Les trois pilotes vont se livrer une bagarre d’anthologie, se passant, se repassant à n’importe quel endroit de la piste, même à Spoon ou au 130R, virages comptant parmi les plus dangereux du monde.
Après avoir remonté et dépassé Cadalora, qui manque de chuter en voulant simplement suivre, Abe continue d’imprimer le rythme tout en se faisant arsouiller par deux affamés. Mais au-delà de ses limites, il chute très violemment à l’entrée du premier virage, en tête. Comme un symbole.
Ce jour là, il a émerveillé la terre entière, y compris un jeune italien du nom de Valentino Rossi. Ce dernier déclarera qu’Abe était son idole, d’où le surnom ‘Rossifumi’, porté au début de sa carrière.
Cette histoire se poursuit en 1996. La fin est plus belle, mais le suspens est moindre. Norifumi, sur Yamaha Roberts (qui l’avait remarqué après la course de 1994), écrase la concurrence toute la course durant. Il reste en tête, et personne ne peut le rattraper. L’histoire est magnifique, car il partage le podium avec une légende de l’endurance et le champion du monde Superbike 1993, Scott Russell.
Norifumi Abe perdit la vie dans un grave accident de la route en 2007. des meetings en son honneur sont organisés, comme celui-ci à Odaiba l’année de son décès. Certaines de ces machines y sont exposées, comme cette Yamaha YZR500 d’Antin qu’il chevaucha en 2002. Photo : ranpie
Comment ne pas parler de l’an 2000 ? Sur une Yamaha d’Antin, il s’impose à nouveau devant les officiels. Seul un homme lui tient tête : il s’agit de Kenny Roberts Jr, sur Suzuki, qui tant bien que mal essaye de lutter mais n’y arrive pas. Il se dégage une réelle impression de différence de niveau, une chose assez troublante en soi.
Trajectoires différentes, culot incroyable et talent incommensurable, la carrière de Norifumi Abe mérite plus que 650 mots. Un homme gentil, attachant, atypique avec ses cheveux dépassant du casque… Ce qui rappelle en un sens Marco Simoncelli. D’ailleurs, on espère que ces deux là se tirent des sacrées bourres depuis là où ils sont.
Photo de couverture : Rikita
