Lorenzo joue la partition du Qatar Hero
L’entrée en matière de la saison MotoGP 2016 s’est effectuée
sans encombres, du point de vue pneumatique.
Après les derniers tests du Qatar, Michelin a toutefois revu son
pneu avant tendre et a proposé trois type de gommes (tendre,
médium, dur) pour cette extrémité tandis que l’arrière semblait
bien calibré et se voyait doté de la même allocation (tendre,
médium).
Le rythme de la course fut très rapide, les quatre premiers pilotes ont roulé plus vite que le temps enregistré lors de l’épreuve de l’année dernière, malgré le fait qu’ils n’avaient pas choisi les mêmes caractéristiques de tendreté de gomme et que l’électronique, moins sophistiquée, est plus exigeante pour les pneus. C’est un retour exceptionnel!
Lorenzo, s’est illustré par son revirement , changeant son choix portant sur la gomme médium pour préférer utiliser le tendre arrière en course (contre l’avis du technicien de Bibendum).
Plus curieux encore, les Ducati de Iannone et Dovizioso se
présentent en pré-grille chaussées des pneumatiques tendres, alors
qu’en ce qui concerne l’avant, les italiens n’avaient juré que par
la gomme la plus dure au cours des essais…
C’est d’autant plus surprenant qu’au Qatar, il y a de grosses
décélérations et que Dovizioso fait partie des freineurs tardifs,
comme Rossi et Marquez, lesquels ont, eux, jeté leur dévolu sur les
pneus les plus durs…
Pourtant, comme nous l’avions remarqué pendant les essais pré-saisonniers, ce n’est pas l’avant qui va s’avérer déterminant durant la course, mais bien l’exploitation de la gomme arrière…
A première vue, les Michelin semblent en effet très
endurants, pour les deux extrémités choisies, et quelque soit le
choix de gomme!
Du moins tant que le pilote ne « tape » pas trop dedans : Marquez
adepte de freinages de trappeur et obligé d’utiliser des
trajectoires en « V »qui conviennent a sa Honda, démolit la gomme
tendre avant en trois tours, et use prématurément l’arrière lors
des relances.
Idem pour Rossi qui a, pendant les essais de pré-saison, chu deux
fois au virage n°10 (celui où les boudins fument
à l’accélération) lors des relances qui ne sont plus assistées
par une électronique évolutive au fil des tours. Le pneu
tendre arrière lui donne trop de mouvements, et peut se détériorer
pour finir…
Les Michelin semblent trouver leurs limites sur les fortes charges et l’on peut observer que si le pilotage coulé de Lorenzo, grand vainqueur de l’épreuve, lui permet de préserver son boudin arrière, à coté, juste à deux mètres à droite, une couverture chauffante jetait un voile pudique sur la gomme tendre de la puissante Ducati de Dovizioso, qui par ailleurs confirmait en interview être allé au bout de sa monte.
Quoi qu’il en soit, la course s’est parfaitement déroulée et on peut souffler chez Michelin….
Il reste toutefois une question a élucider :
pourquoi alors que les différentes montes choisies par les quatre
tops pilotes leur ont permis de se côtoyer en vue du podium,
pourquoi, Jorge Lorenzo déclare-t-il que le pneu tendre lui
a fait gagner la course ?
Dans un premier temps, faisons un détour chez notre confrère Manuel
Pecino où une interview très intéressante de Nicolas
Goubert explique certainement l’orientation de
Michelin.
Les pneus Michelin destinés aux MotoGP, sont en dimension de 17 pouces en ce qui concerne le diamètre de la jante, ceci afin de se rapprocher des utilisateurs de motos sportives du commerce et d’en tirer des vertus publicitaires.
Les premiers pneus MotoGP sélectionnés sont donc dérivés
de ‘gommards’ devant équiper des Superbike de certains championnats
nationaux (FSBK).
Mais parlant de la largeur des jantes, le premier jalon de Michelin
s’est vu controversé par l’essayeur « maison » Colin Edwards : la
largeur choisie est de 3,5 pouces pour la largeur de jante avant et
de six pouces pour l’arrière…
Edwards déclare : « cela ne va pas fonctionner en MotoGP
» et les premiers essais vont rapidement lui donner raison :
chutes a répétitions de tous types de pilotes…
Les MotoGP outre le fait d’être plus légères que les Superbike, ont
également un équipement spécifique au freinage : les disques
carbones.
En d’autres termes, les MotoGP sont plus agressives au freinage et
le pneu avant est sous-dimensionné.
Michelin va rapidement revoir sa copie et proposer des montes sur des jantes avant de 3,75 pouces, puis de 4 pouces ( utilisées maintenant par la plupart des pilotes).
Ainsi, si le pneu avant Michelin propose sans doute une surface de contact réduite par rapport au Bridgestone de taille 16,5 pouces, le pneu arrière, lui se trouve plus large monté sur une jante de 6,25 pouces…
Mécaniquement et indépendamment de la construction des pneus, cela signifie que l’allocation Michelin propose une surface de contact supérieure a l’arrière et inférieure en proportion à l’avant comparée aux Bridgestone.
Revenons maintenant a Lorenzo : ce dernier a
justifié le choix de la gomme tendre arrière de Michelin par le
fait que Vinales, lors du warm-up a été rapide avec celle-ci.
Or qu’est-il arrivé en course à Vinales ?
Réponse : une sixième place décevante : « la moto glissait
beaucoup » déclare Vinales….Mais pas qu’a l’accélération sur
les virages les plus lents du circuit, au freinage également!
Le frein moteur avec l’utilisation de la première version de la
boite seamless Suzuki est inadapté.
Le succès de Lorenzo, a la lumière de ces déclarations
s’explique d’autant mieux : Jorge n’a pas fait que changer
de tendreté de gomme, il a aussi demandé a son équipe d’augmenter
le frein moteur, ce que l’adhérence supérieure du pneu
tendre permettait et, ce faisant il a pu réduire la mise en
contrainte de son pneu avant, point relativement faible de la monte
Michelin au freinage.
C’est bien pour cela que Lorenzo embrasse son pneu arrière et le
désigne comme auteur de son succès.
Argentins, voilà du boudin !
Le circuit de Rio Hondo est très exigeant et le manufacturier
français n’a pas fait de tests récents avec une MotoGP sur ce
tracé…
Pourtant, en Argentine, la piste est très large (16mètres) ,
propose un grand choix de trajectoires et donc met beaucoup de
temps a se « gommer », a se nettoyer, le grip peut y être variable,
mais la constante importante consiste dans le degré
d’abrasion très agressif, destructeur pour les pneumatiques de ce
circuit.
Cela ne vient pas que du revêtement : il faut considérer aussi le fait que la moyenne au tour en fait un circuit très rapide, que l’on peut rapprocher de Phillip Island, il y a néanmoins beaucoup plus de ruptures de rythme qu’en Australie, rattrapées par une ligne droite de plus d’un kilomètre…
C’est un tracé ou il y a des freinages et ou les motos passent
beaucoup de temps sur l’angle, et où l’inclinaison maxi est prise
plusieurs fois par tour.
S’il y a un net déséquilibre entre les virages à droite (9) et à
gauche (5) Les virages à gauche sollicitent cependant beaucoup plus
les pneus que les autres, en particulier le N°11, pris en
forte accélération qui fait considérablement monter les gommes en
température.
Les gommes proposées par Michelin devront être différentes de celles du Qatar pour pouvoir encaisser ces mises en charge soutenues…Et le pneu arrière est très important; on se souvient du déroulement de la course la saison dernière, où Rossi, utilisant le Bridgestone extra-hard, était remonté sur Marquez alors que ce dernier semblait avoir fait une course parfaite chaussé du hard…
De son coté, Lorenzo avait bien choisi la même gomme que Vale à l’arrière mais, à l’avant, il s’était pourvu du médium plutôt que du hard…Et son rythme de course s’en était trouvé diminué.
En Argentine, il faudra donc délaisser les tendres babouches qatari pour chausser les Pataugas renforcées….
Le pied pour Marquez ?
Il sera probablement plus difficile pour Lorenzo de
conserver l’avantage qu’il a su dégager du Qatar…
Note : cet article a été écrit par notre spécialiste pneumatique. Nous avons également abordé le même sujet avec Nicolas Goubert, le directeur technique de Michelin Racing, dans une interview qui sera diffusée très prochainement…