Alain Chevallier nous a quitté hier à l’âge de 68 ans. Personnage incontournable du paddock du Continental Circus des années 70′ et 80′, sa compétence de technicien n’avait d’égal que sa perpétuelle bonne humeur et un humour qu’il avait su préserver jusqu’à la fin, y compris à travers ses extraordinaires récits couchés sur le forum Pit-Lane.Biz. Notre photo de couverture est assez éloquente; on lit dans ce regard toute la bienveillance, l’intelligence et la modestie du monde…
Arrivé dans le monde des courses moto pour aider son frère Olivier, il ne l’avait plus quitté, même quand ce dernier avait perdu la vie. Inovateur de génie à qui l’on doit les freins en carbone et l’acquisition de données, celui que l’on surnommait « Chevall », voire « Lahoud », était devenu constructeur et avait su acquérir la confiance des usines Honda puis Yamaha avant de se tourner entre autre vers l’aventure Voxan.
De Bernard Ansiau à Didier de Radigues, ils sont très nombreux à être tristes aujourd’hui. Ayant eu le bonheur de le côtoyer ces dernières années, nous en faisons partie et adressons nos plus sincères condoléances à sa famille et à sa fille Jasmine.
Pour ceux qui ne l’ont pas connu, voici juste un tout petit extrait de sa prose au sujet d’une simple photo…
Alain Chevallier: « Une photo qu’on m’a
donnée aux coupes ML, que j’adore et qui me parle beaucoup. En
quelque sorte voilà ce qu’elle me dit.
Paddock d’Opatija 1976, dans moins d’une heure Olivier finira ce GP
250 quatrième en me disant « j’ai merdé, mais en 350 je suis
sûr que je vais pouvoir en faire pleurer quelques-uns ».
Trois jours plus tôt, nous étions arrivés un peu à la bourre, les
moteurs n’étaient pas refermés, les boîtes de vitesses que je
j’avais prévues n’étaient pas prêtes.
Ce circuit routier emprunte une route basse qui longe la mer et une
autre, haute, qui fait le retour par la colline. À chaque bout une
épingle très serrée, la première pour tout arranger matérialise
l’attaque de la montée, la deuxième à peu près aussi serrée est un
peu moins exigeante parce qu’elle marque le début de la descente.
La partie haute est assez rapide, donc le braquet est long, les
boîtes de vitesse des TZ ont une première très longue, les moteurs
sont très pointus. Il est impossible de sortir correctement de ces
deux épingles sans faire patiner sévèrement l’embrayage, ce qui ne
semble pas poser trop de problèmes aux pilotes, mais qui ne plait
pas du tout à l’ensemble des disques qui partent facilement en
morceaux. Le jeu consiste à les économiser en perdant le moins de
temps possible. Celui qui a un peu exagéré sait, quand il prend des
morceaux dans le coude, qu’il va devoir rentrer aux box à la fin du
tour.
Pour finir le décor, c’est un vrai circuit routier, pour poilus des
pattes, pas d’échappatoires, des maisons, des rochers, des arbres…
Une descente vers l’arrivée un peu taillée dans le caillou,
succession de virages plus ou moins serrés avec deux choix si tu
tombes : dans le zig c’est le rocher, dans le zag c’est la flotte,
à condition d’avoir la chance de passer par un trou de la
balustrade à claire-voie.
Les modifs essayées l’année précédente n’étaient pas très
concluantes, j’avais donc choisi pour 76 de raccourcir les deux
premiers rapports. Je pensais trouver des pignons dans la gamme des
japonaises, mais la première est taillée sur l’arbre primaire, et
l’arbre d’une TZ est très long pour l’embrayage à sec. En fouillant
bien, j’ai quand même trouvé à peu près ce que je voulais, j’ai
rallongé l’arbre en soudant un morceau d’un de TZ. Je me souviens
de l’étagement qui n’était pas au top, avec un trou entre la deux
et la trois, mais je me souviens surtout du mal que j’ai eu à
ajuster des crabots qui, provenant de boîtes différentes, n’étaient
ni en face ni du même nombre. Moralité, en arrivant sur le circuit,
je n’étais pas prêt. (Ce qui n’était pas nouveau).
J’ai donc passé deux jours, enfermé dans le camion, à finir cette
bricole. Le paddock de ce circuit de cinglés était dans un camping
au bord de la page, tous allaient, après les essais, piquer une
tête dans une eau limpide, bien que recouverte d’une petite couche
de gaz oil, venant du grand port tout proche de Rijeka. L’endroit
était magique, est ce pour ça que les pilotes ont supporté de
rouler si longtemps sur un circuit aussi débile? . Toujours est-il
que j’entends encore Patrick Pons taper sur le camion « viens
donc te baigner au lieu de faire le dentiste » et moi, en
sueur, de répondre « tu vas moins te marrer dimanche, banane
».
Ça y est, la course des 350 est partie, après
quelques tours, Ago sur la MV est en tête, déjà un peu détaché, si
bien qu’on profite bien du son inoubliable de ce moteur. Olivier,
rapidement se place bien dans le paquet qui suit. Patrick Fernandez
abandonne rapidement sur panne et vient nous rejoindre dans les
stands. Olive se détache un peu du groupe, j’ai l’impression que je
vais me trouver mal, Patrick encourage et d’un coup « t’as
entendu? Elle a des ratés la MV ».
Le tour suivant, c’est net, elle a vraiment des ratés, puis
tellement de ratés, qu’elle ne remontera plus la côte, et là c’est
l’enfer, je ne suis pas préparé à vivre cette angoisse. C’est pas
possible, on va forcément prendre un truc dans la tronche! Patrick
et Joseph me rassurent, j’ai les pattes comme de la laine. Olive
royal, passe la ligne d’arrivée en tête et en roue libre depuis
200m….panne sèche! Qui a dit que Jésus n’existait pas?
Reste le podium, nos regards qui se croisent, la Marseillaise,
l’émotion….Tu crois qu’à force de tripoter du 25 CD 4S t’hérites de
sa solidité, hé bien que dalle!
La boîte a tenu, avec le trou entre la deux et la trois, je ne sais
pas si c’était un réel avantage, en plus avec la première assez
courte la moto se cabrait beaucoup. Par contre à l’arrivée
l’embrayage était comme neuf, je pense que personne ne pouvait m’en
montrer un aussi beau!!
J’en ai conclu, peut mieux faire!!, et c’est ce qui m’a poussé à
réaliser un peu plus tard, je crois les premières boîtes de
vitesses, avec des choix d’étagement pour les moteurs TZ.
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