C’était, je pense, la chose la plus surprenante et inattendue de ces dix dernières années. Ai Ogura, rookie en MotoGP, a fait mieux que Pedro Acosta, Fabio Quartararo, Johann Zarco, et tous les autres depuis Marc Marquez en 2013 pour sa première course au plus haut niveau. Essayons d’étudier sa performance sous des angles originaux, car il y a beaucoup à dire.
Sans défauts
Commençons par ce qui a le plus impressionné le public : les résultats. Ai Ogura a été exceptionnel du premier au dernier jour, de la Practice à la fin du Grand Prix. D’abord, il se qualifia directement en Q2, ce qui facilite grandement le week-end. Cinquième au départ, il termina quatrième du Sprint et cinquième du GP. Sur la piste, j’ai retrouvé un pilote que j’avais l’habitude de voir en Moto2, mais qui roulait comme s’il n’avait pas changé de catégorie. J’ai noté quelques points qu’il sera intéressant de surveiller. Tout d’abord, ses départs, qui sont la clé pour réussir en MotoGP à notre époque. Sur une Aprilia RS-GP qui, traditionnellement, est moins performante que les autres dans ce domaine, c’était parfait. Il s’est parfaitement positionné pour les premiers virages, a été solide, même si peu chahuté.

Le discret Ai Ogura, toujours calme, sans prétention. Photo : MotoGP
Ensuite, le dimanche, c’était encore mieux. Certes, il termine une place plus loin, mais il faut rappeler qu’il était l’un des rares à avoir tenté un véritable pari pneumatique, en s’élançant avec le tendre avant et arrière. Là encore, c’est la preuve d’une grande intelligence de course, d’un sens du risque, et d’une bonne gestion – quoique le pneu dur s’usait aussi rapidement que le tendre sur le Sprint, si ce n’est plus d’après Bagnaia. Encore fallait-il en être certain pour le faire durer douze tours de plus.
Il faut aussi mentionner qu’il a réussi cette manche avec une moto historiquement hostile pour ceux qui la connaissent peu. Si l’on excepte Aleix Espargaro et que l’on se fie au programme Aprilia depuis 2022 – date à laquelle Aprilia Racing s’est séparé de Gresini –, tous ceux qui l’ont piloté eurent beaucoup de mal à s’y adapter rapidement. Je pense à Maverick Vinales, par exemple, qui a longtemps galéré, mais aussi, plus récemment, à Miguel Oliveira et Raul Fernandez.
Marco Bezzecchi avait l’air rapide, mais il était tout de même moins performant qu’Ai Ogura sur les trois jours, bien qu’il soit plus expérimenté ; en plus d’avoir pu donner des directions à suivre quant au développement depuis les essais hivernaux en raison de son statut de pilote d’usine. À voir ce que Jorge Martin pourra en faire lorsqu’il reviendra, mais en tout cas, il faut souligner la rapide adaptation d’Ogura sur cette Aprilia relativement difficile à dompter.
Feels like déjá vu…@AiOgura79 , you’re a wizard 🪄#ThaiGP #AO79 pic.twitter.com/uXi3PG7swy
— Trackhouse MotoGP (@TrackhouseMoto) March 2, 2025
Une attitude tout sauf étonnante
Je désirais revenir sur un point : son comportement tout au long du Grand Prix, qui en a choqué plus d’un. Pourtant, il m’a paru normal, et je n’y ai pas vu d’humilité exacerbée. Premièrement, Ai Ogura est Japonais. C’est un enfant d’un peuple naturellement réservé. C’était également le cas de Nakagami et de beaucoup d’autres avant lui. Ensuite, il n’a pas un anglais exceptionnel, ce qui est aussi un trait nippon. Ceci l’empêche de s’exprimer comme il l’entend, et le force, la majorité du temps, à faire de courtes phrases simples. Finalement, il n’avait pas de point de comparaison, donc il ne pouvait pas réellement prendre la mesure de son exploit.
Si un rookie performe tout de suite, il y a peu de chances pour qu’il exulte, car il n’a jamais connu de galères. Ce sont les défaites répétées qui décuplent le plaisir de la réussite ; la réussite instantanée, elle, ne procure que de l’étonnement, et, pire, elle peut traîtreusement devenir un standard qu’il deviendra décevant de ne pas atteindre.
L’instant rabat-joie
Je suis désolé de casser l’ambiance, car j’aime bien Ai Ogura. Je n’enlève rien à son exploit – car c’en est un –, qui a largement éclipsé les débuts de Fermin Aldeguer, mais également, un nouveau week-end moyen de Raul Fernandez. Cependant, je pense qu’il est irréaliste d’attendre des performances similaires dans les semaines à venir. Je m’expliquerai en plusieurs points pour rester concis :

Raul Fernandez est déjà dans le rétroviseur. Photo : Michelin Motorsport
Premièrement, la température jouait en sa faveur. Quand tous les Européens se plaignaient de l’étouffante chaleur thaïlandaise, Ogura disait que ça ne le gênait même pas. Ce confort supplémentaire lui a donné un avantage indéniable.
Deuxièmement, il s’agit de l’un de ses meilleurs circuits. Hormis une chute en 2019, sa première année en mondial, Ogura s’en est toujours bien tiré à Buriram. Il y avait été sixième dans la difficulté en 2022, puis cinquième en 2023 dans une année moyenne. Enfin, en 2024, il y a terminé deuxième en partant de la pole position. Ai n’a jamais gagné là-bas, mais le tracé lui sied mieux que les autres, notamment Austin, que l’on visitera dans quelques semaines.
Troisièmement, la hiérarchie était tronquée. Vous me direz : « c’est la course », mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige à vous rappeler que les résultats semblent peu significatifs. Fabio Di Giannantonio, avec une GP25, n’a pas pu jouer devant en raison d’une blessure qu’il traîne depuis les essais à Sepang. Ensuite, Jorge Martin était absent, et, malgré le talent du Champion du monde Moto2, je ne vois pas le « Martinator » finir derrière régulièrement à motos égales. D’autres ont connu d’évidents soucis pneumatiques, peut-être liés aux fortes chaleurs. Je pense à Fabio Quartararo, seulement 15e, Pedro Acosta, qui se plaignait d’une dégradation incompréhensible, et Brad Binder, qui avait ordre de ne pas pousser trop fort pour conserver la gomme.
Dernièrement, il n’a pas eu à se battre. Il a fait ses deux courses relativement seul, ce qui signifie qu’on ne l’a pas encore vu croiser le fer avec un autre pilote – dimension essentielle pour réussir au plus haut niveau. D’autres grands rookies, avant lui, ont eu une adaptation très rapide, sans pouvoir expliquer pourquoi. Mais c’est quand la confiance s’installe et que les premières épreuves arrivent que le vrai caractère d’un pilote se révèle – l’exemple de Pedro Acosta est criant.
Ces arguments me forcent à conclure que le top 5 n’est sans doute pas sa vraie place, mais cela n’enlève absolument rien à son sublime effort.
Je suis curieux de savoir ce que vous avez pensé du premier week-end d’Ai Ogura en MotoGP. Dites-moi en commentaires si vous êtes d’accord avec mon côté « rabat-joie » !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.

Il n’a pas compris pourquoi il allait vite : le problème « Cecotto ». Il dit copier Bagnaia, mais si c’était si simple, Pedrosa serait huit fois champion du monde vu le nombre de deuxièmes places face aux Rossi, Lorenzo et Stoner. Photo : Michelin Motorsport
Photo de couverture : Michelin Motorsport