Lors des essais privés organisés par Johann Zarco à Carthagène, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec de nombreux pilotes dans un cadre moins informel que celui des courses qu’ils disputent durant leur tournée habituelle. Après Johann Zarco, Barry Baltus et Lucas Mahias, notre série d’interviews se poursuit avec celle de Bartholomé Perrin.
Au cours des deux journées d’essais privés qui se sont déroulées à Carthagène, Bartholomé Perrin eut l’opportunité d’apprendre aux côtés de Lucas Mahias. Le champion du monde 2017 de Supersport, lui offrant de nombreuses séances de coaching privé, dans le but de transmettre à la jeune génération, comme il le mentionnait dans l’interview publiée ce jeudi.
Engagé en FSBK avec le team DMT Racing pour la saison 2025, Bartholomé Perrin rêve de championnat du monde. Pour y parvenir, il sait exactement ce qu’il lui reste à faire, comme il le détaille dans nos échanges. Ce fut aussi l’occasion pour lui de vulgariser la moto à sa manière. Vous y découvrirez, en effet, sa vision très poétique du pilotage d’un deux-roues.
Bonjour Bartholomé Perrin, pour commencer, tu pourrais
nous rappeler pourquoi cette saison fut éprouvante pour toi
?
« Cette saison n’a pas été la plus évidente pour moi. Je suis
arrivé en 600 en 2022, et depuis, l’objectif c’est de réussir à
gagner le championnat de France, pour accéder au championnat du
monde. Comprendre comment faire pour atteindre le niveau du
mondial, c’est un art qui est très difficile à cerner. Ça demande
beaucoup de travail. Cette année, j’ai fait face à beaucoup de
péripéties. Des problèmes d’équipes, et financiers, mais comme la
majorité des pilotes. Donc je n’ai fait que la moitié de la saison.
J’étais au bout en fin d’année. Mais le point super positif, c’est
que ça a débloqué une opportunité incroyable. »
Laquelle ?
« Cette année, j’intègre le DMT Racing Team, le team officiel
supporté par le GMT94 en championnat de France. Donc je ne pouvais
pas rêver mieux. Je suis dans les meilleures conditions, j’ai juste
à me concentrer sur mon pilotage. C’est pour ça que ce genre
d’événements, organisé par Johann Zarco, c’est juste incroyable. Ça
permet aux pilotes comme moi, qui ont des ambitions, qui ne sont
pas encore pro, mais qui veulent faire quelque chose dans ce sport,
d’apprendre. On est entourés de champions, de gens qui ont compris
beaucoup plus de choses que nous, donc c’est top. »
Pour revenir sur tes péripéties du début de saison, on peut
dire que ton équipe t’a laissé tombé ?
« Exactement, après trois courses, j’ai fait un podium. Tout allait
pour le mieux, donc ce n’est pas dû aux résultats. À vrai dire,
même moi je n’ai pas compris… Magnicourt, c’était la quatrième
manche, et deux jours avant de partir, j’étais encore persuadé
qu’on y allait. Mais ils m’ont laissé tomber à ce moment-là. Ce
genre d’événement, c’est très compliqué à gérer. Peut-être qu’ils
ont eu des problèmes, je ne sais pas vraiment. En-tout-cas, ça m’a
beaucoup affecté. Je trouve que c’est un manque de respect, mais
les choses se sont faites comme ça. C’est une épreuve de la vie.
Sur le coup, j’ai été très mal, mais quand je vois la position dans
laquelle je suis aujourd’hui, c’est le top. »
Le nouveau défi que tu relèveras l’an prochain, te
permet de continuer à rêver de titre mondial, si c’est toujours ton
objectif ?
« C’est toujours le cas. Toujours. Mais c’est important de rester
lucide. Aujourd’hui par exemple, j’ai la chance de partager le box
avec Lucas Mahias. On a les mêmes motos, on met les mêmes pneus, et
on peut comparer les chronos. Globalement, je suis à 1,5 seconde du
championnat du monde. Donc c’est important de rester lucide. On ne
peut pas prétendre pouvoir faire quelque chose en mondial avec
autant d’écart. Il faut rester être minutieux, et s’intéresser,
poser des questions. Il faut comprendre ce que les autres font de
mieux. Parce qu’ils font des choses mieux. »
Tu nous décris ces deux journées de roulage comme une
opportunité de rêve…
« Oui, c’est ça. On ne peut pas rêver mieux. Le fait d’être entouré
comme ça de champions de haut niveau, qui roulent plus vite que
soi. Je pense que c’est la clé pour progresser : s’entourer de
pilotes meilleurs que soi. J’ai la chance de l’avoir autour de moi.
Là, ces deux jours, ils sont excellents pour ça, et l’ambiance est
incroyable. Tout le monde se soutient. Il y a cette volonté,
notamment de Johann Zarco et de Lucas Mahias, d’aider énormément.
Dès qu’ils me voient en piste, ils essaient de me montrer un petit
peu ce que je peux faire de mieux. On discute beaucoup de ma
position, etc. Ils ont envie de transmettre, et ils le font très
bien. Pour un pilote comme moi, qui a de l’ambition, je ne peux pas
rêver mieux. »
Tu apprends quoi ce Johann Zarco et de Lucas Mahias
?
« Il faut comprendre que la moto c’est un art. Il y a énormément de
gestes techniques à mettre en place, de facteurs qui influencent la
performance aussi. C’est important de comprendre ce qui se fait de
mieux. Là aussi où Lucas est extrêmement fort, et c’est pour ça
qu’il est deux fois champion du monde, c’est sur le point de pivot.
Entre le dernier lâché de freins, et le moment où il remet les gaz,
il n’a pas de phase neutre. Moi j’ai encore en moyenne deux
dixièmes de phase neutre. C’est ce genre de choses, où il fait
pivoter la moto tellement mieux qu’elle est mieux orientée vers la
sortie. C’est là qu’est le gap. On ne parle pas d’un gros gap.
C’est plus d’un dixième par virage, mais sur un tour, c’est énorme.
»
Ta rencontre avec Johann date d’il y a quelques années
déjà.
« En 2020, j’ai été sélectionné pour la Red Bull Rookies Cup. À ce
moment-là, je n’avais aucun guidon, et je voyais ça comme une
opportunité d’intégrer les Grands Prix. J’avais cette envie folle
de performer, et j’ai travaillé énormément pour trouver des
solutions, parce que je n’étais pas compétitif. Un jour, j’étais
sur un circuit avec mon accompagnant, et il m’a suggéré d’écrire à
Johann, pour lui demander des conseils. Ça me paraissait
improbable, mais je l’ai fait. Je lui ai écrit sur Instagram, et il
m’a donné rendez-vous chez Red Bull un peu plus tard. Forcément,
quand je l’ai vu pour la première fois, j’ai eu une réaction
humaine. »
Tu étais intimidé ?
« Oui, je pense qu’à ce moment-là, j’étais un peu intimidé. Au
final, il a été excellent, vraiment. Très bienveillant avec moi, il
a essayé de comprendre, ce qui pouvait me faire progresser. Mon
boulot à ce moment-là, c’était d’être lucide et d’écouter. La
grande majorité des pilotes, quand on leur dit quelque chose, ça
peut vexer. Beaucoup refusent d’entendre leurs défauts. Mon travail
c’était de l’accepter de travailler dessus. Ce qui nous a laissés
en contact, c’est notre passion commune pour les échecs. On joue
beaucoup aux échecs sur des applications en ligne qui permettent de
jouer à distance. Depuis, on a toujours joué ensemble à l’occasion.
Ça nous a permis de maintenir un lien. Donc il y a deux ou trois
mois, il m’a envoyé un message pour me proposer de venir rouler à
Carthagène. Forcément, j’étais sur un nuage. »
Les échecs, c’est une activité qui demande beaucoup de
réflexion. Tu réfléchis autant sur la moto ?
« C’est ça le problème (rires). Je pense qu’il y a deux types de
pilotes. Ceux qui vont un peu à l’instinct, et ceux, dans lesquels
je me retrouve un peu plus, comme Johann, qui sont un peu plus
cérébraux. Ils réfléchissent beaucoup. C’est marrant, parce que je
suis dans le box avec Lucas et on est les exacts opposés. Je pense
qu’en moto, c’est une question de compromis. Aujourd’hui, un pilote
a besoin d’être intelligent et de comprendre les choses. Ce n’est
pas juste tourner la poignée. Il y a tellement de choses à gérer
avec l’électronique, la gestion des pneus. Il faut être
intelligent, et à la fois lâcher prise, parce qu’on prend beaucoup
de risques. Encore une fois, la moto c’est un art. C’est comme un
peintre qui peint, il exprime son art, il ne réfléchit pas. La moto
c’est pareil. Donc je travaille là-dessus, je pense que je suis
trop du côté cérébral, alors j’essaie de lâcher prise. »
Bartholomé Perrin