En sports mécaniques, MotoGP ou pas, Michelin ou pas, tout est toujours de la faute des pneus ! Quand un pilote tombe, « c’est la faute des pneus », quand un pilote ne va pas vite, « c’est la faute des pneus », quand un pilote ne gagne pas, « c’est la faute des pneus » ! Et quand un pilote gagne, c’est évidemment grâce à son talent et il en retire tout le mérite…
C’est par cette caractéristique, certes compréhensible mais ô combien injuste, que nous avons débuté notre entretien avec Piero Taramasso, le manager de la compétition deux-roues de Michelin, car autant nous sommes profondément et totalement admiratifs du talent de chacun des pilotes de Grand Prix, autant nous sommes nous sommes aussi totalement abasourdis par la complexité de la gestion des pneumatiques, des éléments de haute technologie qui nécessitent un savoir-faire d’une précision chirurgicale, depuis leur conception et leur choix jusqu’à leur utilisation finale.
Dans cette interview, nous reviendrons également sur le Grand Prix d’Autriche disputé sur le Red Bull Ring, dont le record a volé en éclat à plusieurs reprises avant d’être pulvérisé par Jorge Martin, puis nous aborderons le prochain GP à Aragon, dont le revêtement refait garde ses mystères…
Piero, nous voulions d’abord souligner l’injustice de votre métier, parce que, en gros, on a vu des nouveaux records incroyables en Autriche, et forcément, comme ce sont les pneus qui tiennent les motos à la route, les pilotes ne sont jamais, jamais, jamais pleinement contents, par définition même, puisqu’ils en veulent toujours plus. Et en plus, vous vous devez fournir une allocation en début d’année, on rentrera dans le détail tout à l’heure, bien sûr en tenant compte du circuit, de sa surface, son tracé et tout ça, mais pas de la météo puisque vous ne connaissez pas les températures qu’il y aura. Donc c’est quand même extrêmement difficile, et extrêmement injuste, non ?
Piero Taramasso : “Oui, je suis d’accord avec toi. C’est vrai que ça n’arrive pas qu’en moto, même dans les championnats à 4 roues c’est un peu la même chose. Disons que le manufacturier pneumatique est , souvent exposé à des critiques parce que, comme tu le dis, ce sont les pneus qui font le lien avec la la piste. Donc toutes les sensations de grip, de glisse, les retours d’informations, passent à travers les pneus, et donc forcément les pneus sont souvent incriminés, parfois à tort, souvent à tort, parfois avec raison, car ça peut ça peut arriver. Ca c’est la première chose. Deuxièmement, c’est vrai qu’on essaie d’amener l’allocation la plus correcte, la plus performante possible, mais même avec 7, 8, et maintenant 9 ans d’expérience, on est toujours tributaire des conditions météorologiques, et vu que le choix des pneumatiques est fait en début de saison, le choix des gommes qu’on amène sur les circuits est fait avant la première course et on le communique à la Dorna, à l’IRTA et aux teams avant la première course, donc c’est vrai quand tu le fais en février ou mars, tu ne peux pas anticiper la météo qu’il va faire en juillet, en octobre ou en novembre. Et en plus aujourd’hui, avec les changements climatiques qu’il y a, on n’est jamais à l’abri de surprises, de se trouver avec des météos complètement improbables.
Donc c’est vrai que quand tu mets tout ça ensemble, ça peut parfois amener des critiques, des mécontentements, mais voilà, nous on n’y est pour rien. Nous, la seule chose que l’on veut faire, c’est de fournir des pneus très sûrs, de qualité, performants, pour avoir un beau spectacle et que tout le monde soit content. C’est ça notre objectif.”
Oui mais humainement, comment vous vivez cette injustice ? Je reprends ce mot fort volontairement, parce que bon, là on a vu les chronos améliorés de 8 dixièmes, ce qui est quasiment du jamais vu, et malgré ça, forcément, forcément, les pilotes qui en veulent toujours plus peuvent dire “Ah bah oui, mais le pneu avant dur est un peu délicat”, ce qu’une certaine presse transpose en “un peu dangereux” (ndlr : nous avons corrigé après vérification). C’est quand même extrêmement injuste pour vous, et probablement pas facile à accepter, au lieu que tout le monde s’extasie sur les progrès réalisés…
« Oui. Qu’est-ce que je peux te dire ? C’est que cette saison, en 2024, les pilotes sont beaucoup plus mesurés dans leurs commentaires. Ils sont plus contents cette année, car on a fait vraiment un gros step par rapport à la saison précédente au niveau de la qualité et de la performance des pneus. Alors je ne sais pas si ça va durer mais depuis le début de saison, on n’a pas trop de critiques. Moi, j’ai beaucoup moins de discussions avec les pilotes. Les modèles qu’on fournit sont maintenant connus et assez stables depuis 3ou 4 saisons. C’est le même modèle pneu, mais on a fait un step en plus avec ces nouveaux mélanges qui donnent plus de performance. Donc avec les pilotes cette année jusqu’à maintenant, on n’a pas eu de grandes critiques. Après c’est vrai qu’il y a toujours quelques points à travailler. Par exemple sur le circuit d’Autriche, on a eu quelques remarques au niveau du pneu avant, mais c’est aussi un circuit qui est très très sollicitant pour le pneu avant, où on sait très bien qu’il y a du locking, où on sait très bien qu’il y a des gros gros freinages, ce n’est pas pour rien que Brembo amène les gros disques de 355mm, donc on sait que c’est vraiment un circuit où le pneu avant est mis sous un stress énorme. Donc disons qu’on s’attendait à quelques remarques, parce que c’est un circuit qui force vraiment sur l’avant, et forcément, à un moment donné, quand tu as 50° sur la piste et que les motos décélèrent de 330 à 90 km/h, c’est sûr que l’effort est énorme. Donc faire des pneus parfaits dans ces conditions, c’est quasiment impossible, parce que nous sommes en MotoGP et tout est dimensionné à la limite, comme les moteurs, comme l’aérodynamique, comme les consommations d’essence. Tout, tout, tout est à la limite, et les pneumatiques aussi sont à la limite. Donc un moment donné, on dépasse cette limite et à ce moment-là il y a des commentaires des pilotes, mais si les critiques sont mesurées et sont constructives, nous on le prend bien, car c’est bien pour nous puisque avec ça, on sait sur quel point il faut travailler pour le futur. et sur quelle caractéristique. »
Alors on peut rajouter aussi à la difficulté de votre métier, c’est que vous devez non seulement développer les pneus parce que vous voulez toujours faire mieux, mais vous devez aussi accompagner les progrès des motos qui sont assez énormes en ce moment au niveau de l’aérodynamique. On ne voit plus guère un Grand Prix sans un nouvel élément par-ci par-là, et ça personne ne le sait en début de saison. Or, vous devez quasiment anticiper ça, pour définir vos gommes en début d’année…
« Oui, c’est sûr que c’est quelque chose de difficile, de pouvoir anticiper l’évolution des motos, les accompagner, s’il y a plus de puissance donc plus d’efforts sur l’arrière, s’il y a plus d’aérodynamique sur l’avant. L’autre difficulté aussi, c’est de faire des pneumatiques qui fonctionnent bien sur les Ducati, comme sur les Yamaha, les Honda, les Aprilia et les KTM, alors que ce sont des motos qui sont de conceptions différentes. Et aussi, il y a des pilotes qui sont plus agressifs, qui ont besoin de plus de support à l’avant, d’autres qui sont moins agressifs sur l’arrière où il faut alors des pneus qui se mettent en régime facilement. Donc la difficulté, c’est ça : fournir un même pneu, pour des machines différentes et des styles de pilotage différents. Sans parler après, quand il y a des nouveaux circuits, quand il y a l’introduction de nouveaux circuits. Cette année, bon, on est passé au travers du Kazakhstan, mais quand il faut aller au Kazakhstan où on n’a pas d’infos, là il faut travailler par simulation et c’est toujours difficile. Le weekend prochain, on ira à Aragon où il y a un nouvel asphalte, et où l’année dernière on n’a pas roulé. Donc on connaît la configuration du circuit mais on ne connaît pas le revêtement, s’il est agressif ou pas, s’il y a du grip ou pas. Donc voilà, il y a beaucoup de difficultés que l’on doit anticiper. Maintenant, encore une fois, avec l’expérience, on arrive souvent bien à anticiper et on arrive avec des bons produits, et parfois tu ne peux pas anticiper. Il y a beaucoup de difficultés, mais encore une fois, cette année, honnêtement, moi je suis content des commentaires des pilotes, de leurs propos qui sont constructifs, et honnêtement ça se passe bien et j’espère qu’on puisse finir dans les mêmes conditions le championnat. »
On vous le souhaite également et on va clore ce chapitre dédié à la difficulté de votre métier, et donc aux remerciement qu’on devrait accorder à Michelin en permanence, comme le fait d’ailleurs Hervé Poncharal qui, au niveau de l’IRTA n’arrête pas de vous encenser en disant que vous faites un travail extraordinaire. Revenons donc sur l’Autriche, parce qu’il y a quand même des choses à dire. Vous avez des pneus particuliers pour l’arrière et un pneu avant dur très dur. À l’arrière, je pense que tout le monde a plébiscité les pneus. De quoi s’agissait-il ? Une construction plus rigide ? Un traitement anti-chaleur ?
« Oui, à l’arrière c’était une construction spécifique pour l’Autriche, et c’est une construction, une carcasse, qui aide à maintenir la température plus basse. Donc c’est une carcasse plus rigide pour avoir une température moins élevée. Par rapport à la carcasse standard, on abaisse les températures d’une dizaine de degrés. Cette carcasse n’est pas nouvelle, on l’avait déjà amené la saison précédente et ça avait bien fonctionné, donc on l’a reproposée, on l’a ramenée cette année, et le pneu arrière, oui, il a bien fonctionné, soit le soft en Sprint, soit le médium en course. Les deux se sont bien comportés. Les chronos, la performance, et la constance aussi, étaient meilleurs. Les pneus étaient plus constants que l’année dernière et on a abaissé la durée de la course de 3 secondes, donc la constance a vraiment été mise en valeur. Avec ces carcasses qu’on connaissait, on avait toujours la gamme 2024 de mélanges, avec cette nouvelle technologie de mélanges qui amène un peu plus de grip et constance. »
Et à l’avant ?
A suivre demain…