Lors de la journée du test MotoGP à Valence, Piero Taramasso, le manager de la compétition deux-roues de Michelin, a pris le temps de répondre longuement à nos questions.
Cela nous a permis d’aborder tous les sujets concernant un des éléments clé de la compétition en catégorie reine, des performances réalisées aux travaux en cours pour le futur proche, en passant par le fonctionnement du système de contrôle de pression et, bien sûr, l’affaire du pneu de Jorge Martin au Qatar…
Un grand merci pour toutes ces explications !
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On est maintenant obligé
d’aborder un sujet un peu délicat, suite aux déclarations d’un
pilote qui n’était pas content de son pneu arrière, puis qui s’est
un peu excusé en disant qu’il s’était un petit peu emporté à chaud
et qu’il avait utilisé des mots trop forts, et cetera : le fameux
pneu qui a un peu enlevé de suspense au championnat. Où en est-on ?
L’avez-vous analysé ?
Piero Taramasso :
« Oui, bien sûr, c’est sous
analyse. Oui, Jorge a été très dur
contre Michelin. Après il s’est excusé, mais disons, le mal était
fait. Mais je comprends la situation: quand un pilote se bat pour
le championnat du monde, avec toute l’adrénaline qu’il a, ses
premières déclarations sont assez fortes. Chez nous, bien
sûr, on a pris le sujet très sérieusement. Déjà, la première chose
qu’on fait dans ce cas-là, on est capable de remonter à tout
l’historique du pneu, s’il a voyagé, dans quelles conditions il a
voyagé, si la température a été respectée, jusqu’à
remonter jusqu’à la machine de fabrication, quel jour il a été
fabriqué, par quel opérateur, avec quel matériau, etc. Donc on
a un processus compliqué, mais il est bien rodé et on a fait
toutes les vérifications et on a vu qu’il n’y avait pas
d’avarie, pas de problème de qualité
sur les pneumatiques. Donc ça c’est la première chose et
c’est important pour nous. Après, on est passé à analyser les
datas que nous a données Ducati. On a regardé les
glissements, on a regardé comme il s’est comporté.
Aujourd’hui , ce n’est pas encore fini parce qu’il y a
énormément de datas, mais en première
analyse , partagée avec Ducati, on ne voit rien
de vraiment anormal. On voit effectivement que quand il
rentre dans le virage, il a moins de retenu au frein, il perd
un peu de temps-là. Par contre, il gagne en accélération,
en motricité, il est même mieux que par
rapport à samedi dans la sprint. Donc c’est
intéressant parce qu’il y a des datas contradictoires. Lui, il nous
dit qu’il y avait beaucoup de glisse et de patinage, qu’il ne
pouvait pas piloter, que ça glissait partout, mais on ne voit rien
de tout ça dans les datas. Par exemple, quand on a mesuré la piste
avec nos machines, on a mesuré la piste, le niveau des
micro-rugosités était très bas, et le niveau de macro-rugosité
était très haut. Ça, théoriquement, ça veut dire pas de grip et
beaucoup d’usure. Et en fait, du grip il y en avait, donc ça
aussi c’est contradictoire. Donc on est en train de continuer la
recherche pour y voir plus clair, mais aujourd’hui il n’y a
pas de nouveauté.”
Parce que, matériellement, on ne peut pas analyser
chimiquement ou physiquement un pneu, et dire “ce pneu, il est 2/10
moins vite que celui-là” ? Ce n’est pas possible
?
« Non, non, on ne peut pas le quantifier comme ça.
Ce qu’on peut faire et ce qu’on est en train de faire, ce pneu là a
été pointé du doigt, donc on va le reprendre, on va le couper, on
va le décortiquer pour voir si tous les composants étaient à leur
place, juste pour précaution. Parce que parfois on peut apprendre
des choses, on peut toujours s’améliorer. Mais sinon, non,
quantifier s’il était 2/10 plus vite ou moins vite, ça c’est
impossible parce qu’il y a trop de paramètres qui rentrent en
jeu.
Ce n’est pas la première fois qu’on entend un pilote dire ça,
pendant la saison on l’entend plusieurs fois, donc chaque fois on
fait l’analyse et dans 99% des cas, on voit que c’est vraiment dû à
l’utilisation du pneumatique. En fait, un pneumatique, c’est comme
un élastique : en fonction de comment tu le sollicites, il répond
différemment. Donc entre deux pilotes, tu as déjà des réponses
différentes. Après, ce qui a une influence énorme, c’est la
pression et la température. Là, on parle de pneus MotoGP, ce sont
des produits très très pointus, ce ne sont pas des pneus de route
avec lesquels tu peux mettre 1.5 bars ou 2.5 bars, et tu peux
rouler partout sans voir de différence. Ici, en MotoGP, tout est
poussé à la limite extrême. Le pneumatique aussi, et parfois tu as
une pression de 0.05 en plus ou en moins, et ça peut te changer de
10° la température, et la performance, elle peut être le jour à la
nuit. Ca c’est un autre point hyper important, car les pilotes sont
tellement serrés, souvent on voit 15 ou 20 pilotes dans la même
seconde, ca veut dire que pour 2 ou 3/10 tu peux être dans le top 5
ou dans les 5 derniers. Tout est exacerbé, et la difficulté qu’on a
aujourd’hui est de maîtriser tout ça. »
J’ai interrogé Guy Coulon (voir ici), qui a quand même une
petite expérience dans le paddock, et lui ne croit pas du tout à un
mauvais pneu. Il dit que les pneus Michelin “sont très
difficiles à employer et à contrôler, que la logique du choix n’est
pas simple”, mais que “la constance de production et la façon de
pouvoir répéter le même niveau de pneu dans un type de pneu, ça par
contre c’est impressionnant”…
« Oui, oui, on a travaillé beaucoup sur toutes
less constance, parce qu’on veut une performance, pas seulement sur
un tour, mais pour toute la la distance de la course, et aussi dans
une série. Guy a beaucoup, beaucoup d’expérience, il a vu beaucoup,
beaucoup de choses et il sait ce qu’il dit. C’est vrai que ça,
c’est aussi notre théorie, parce qu’on a analysé les datas de la
mise en grille, et le pneu était bien en température et en
pression. Après, il y a eu ce départ qui n’était pas parfait et
c’est aussi vrai que, derrière lui, Augusto Fernandez a fait la
même chose, donc la piste était peut-être sale, ou c’est peut-être
lui qui a lâché l’embrayage un peu plus brusquement. Et puis ila
perdu des positions, et après, quand il faut récupérer, il faut
taper dans les pneus. Et une chose est sûre, c’est qu’à la fin de
la course on a mesuré les pneus, et l’usure du pneu de Jorge était
beaucoup, beaucoup plus élevée que par rapport à tous les autres
pilotes. Ça s’explique parce qu’il a mis beaucoup plus d’énergie
dans le pneumatique. »
Il y a un nouveau manufacturier en Moto2 et Moto3 qui a
fait ses débuts officiels hier. Évidemment, on lui a posé la
question, “est-ce que vous êtes là pour monter en Moto GP un
jour ?”, et il a été un peu évasif. Vous, vous allez rester
après le contrat actuel ?
« Pour le moment on a un contrat jusqu’à 2026, et
donc on a encore quelques années devant nous. Pour le moment, on
est content, donc bien sûr qu’on va honorer notre contrat, et si ça
se passe bien dans les saisons qui viennent, je pense qu’on peut
continuer et rester. On a des bonnes relations avec les teams, avec
la Dorna, avec tout le monde.
Après oui, je suis sûr que le MotoGP intéresse tout le monde parce
que c’est quand même une belle vitrine. Il y a toujours de plus en
plus de spectateurs et le spectacle est beau. Après, moi j’ai
beaucoup de respect pour Dunlop, car ils sont restés dans le
paddock pendant plus de 70 ans je crois, depuis le début du
championnat. Ils n’ont jamais arrêté, pas même une saison : je
pense que ça, il faut le dire, et chapeau à eux !
Et Pirelli, oui, ils savent faire et ils sont capables de faire des
bons pneus, mais bon, là on est sur deux championnats différents,
Moto2 et Moto 3 c’est bien différent du MotoGP, donc je pense qu’on
va bien s’entendre, et après on verra pour la suite
(rires). »
Parce que l’investissement de Michelin, c’est quand même
un gros investissement le MotoGP…
« Oui, c’est un gros investissement, et en plus de
ça on a la MotoE à côté. C’est une autre plateforme qui nous
intéresse pour développer les matériaux durables. Donc pour nous
c’est un package qui nous intéresse car on parle toujours de plus
et plus de l’environnement, et l’objectif de Michelin est d’arriver
en 2050 avec tous les pneus du groupe 100% en matériaux durables,
que ce soit les pneus du commerce ou les pneus de compétition. Donc
on a besoin aussi d’être ici pour pouvoir développer plus
rapidement, parce que en compétition, c’est là où tu arrives à
innover, à développer plus rapidement, pour faire profiter le
groupe du savoir-faire et des innovations qu’on trouve sur les
circuits. »
Il y a des transferts technologiques du MotoGP à la
série ?
« Oui, en fait là l’idée aujourd’hui, c’est de
travailler beaucoup sur la MotoE. Aujourd’hui, on est à 52% de
matériaux durables, donc on est déjà bien avancé. Et après, on en
fait profiter le MotoGP et les motos du
commerce. »
Le développement de l’aérodynamique, avec de plus en
plus d’ailerons qui apportent de l’appui, va-t-il finir par
engendrer un problème pour les pneumatiques
?
« Ouais, ça ne nous aide pas.Ca ne nous aide pas
parce que sur les pneus, ça joue un rôle très important, ça met
beaucoup plus de stress, plus de charge. On peut évaluer à 30% de
plus de charge avec l’aérodynamique, par rapport à il y a deux
saisons. Et après, ils ont rajouté les Ride Height Devices, qui
tiennent la moto plus basse, collée au sol, donc le pneumatique est
tout le temps sous contrainte. Avant, quand tu accélérais l’avant
se délestait quand tu freinais l’arrière se levait, donc nous on
disait qu’il respire un peu. Mais aujourd’hui il ne respire plus.
En ligne droite, dans les virages, il est tout le temps sous
contrainte, et avec ça on a estimé la charge à pas loin de 10%
encore. Donc on est déjà à 40% de charge en plus par rapport à il y
a deux saisons, sans compter les freins, parce que les freins aussi
sont de plus en plus gros. Ils dégagent de plus en plus de la
chaleur, et cette chaleur va dans la roue, dans le pneumatique, et
ça n’aide pas non plus. Et pour nous aider encore (rires), ils font
des écopes aérodynamiques qu’ils mettent sur les disques des freins
pour gagner 2 ou 3 km/h en vitesse de pointe, et donc ça aussi ça
ne fait pas refroidir les freins, et génèrent au contraire encore
plus de chaleur. Donc on est vraiment attaqué de tous les côtés
(rires) ! «
Mais vous vous défendez bien, puisqu’il n’y a pas de
problème majeurs concernant les
pneus…
« Oui, on fait au mieux, mais on essaie toujours
de faire encore mieux ! «