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Ernst Degner

À l’occasion du Grand Prix du Japon, revenons sur l’une de ses histoires les plus fascinantes. Celle d’Ernst Degner, pilote légendaire s’il en est, qui a marqué de son empreinte le pays, à cause d’une chute, certes, mais aussi en raison d’un immense héritage. Peu connu de nos jours, c’est l’occasion parfaite de le remettre en lumière.

 

De la RDA au Pays du Soleil Levant

 

La folle histoire débute à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le père du petit Ernst Degner vient de mourir. Le reste de sa famille doit absolument partir de Gliwice – sa ville natale, aujourd’hui situé en Pologne – afin d’éviter l’avancement de l’armée Russe vers l’Ouest. C’est ainsi que le jeune Ernst, accompagné de sa sœur et sa mère, s’installent à Luckau, non loin de Berlin. Comme beaucoup d’autres villes importantes de la région, elle est, plus tard, située sur le territoire de la République Démocratique Allemande. Pour couronner le tout, sa mère décède durant cette difficile période de transition.

L’histoire ne commence pas de la plus belle des manières. Mais plein de bonne volonté, Ernst, doué à l’école, décide de faire des études à Potsdam. C’est à cette époque qu’il rencontre un passionné du nom de Daniel Zimmermann. Ce dernier était en pleine élaboration d’une toute nouvelle moto. C’est sur ces deux-roues 125cc que Degner commence la compétition en 1952. Les « ZPH » tenaient tête aux meilleures petites cylindrées est-allemandes, ce qui lui valut de se faire repérer fin 1955, et pas par n’importe qui. Le célèbre ingénieur allemand Walter Kaaden, responsable de MZ.

 

Ernst Degner, ici à Assen en 1963. Photo : ANEFO

 

MZ, à l’époque, était une référence dans le domaine du deux temps. C’est ainsi qu’en quelques années, Degner se retrouve propulsé au rang d’ingénieur/testeur chez MZ, dans les mythiques ateliers de Zschopau. Après avoir triomphé en championnat national, Degner et MZ se lancent à l’assaut du mondial 125cc à partir de 1956. Dès 1959, les travaux avant-gardistes de Kaaden payent. La première victoire lors du Grand Prix des Nations à Monza fait grand bruit dans toute la RDA. Mais Degner n’est pas aveugle. Lui et sa femme observent le mode de vie des gens d’Europe de l’Ouest et du Sud, lors des différents déplacements dans le cadre du mondial. Ainsi, Degner se met en tête de « libérer » ses proches. Autrement dit, organiser une véritable évasion d’Allemagne de l’Est.

Tout se passe au Grand Prix de Suède 1961. Lors de la course, Degner peut encore être titré mais un mystérieux problème mécanique coupe court à son effort. Pendant ce temps-là, sa famille avait déjà mis les voiles en direction de Dillingen, non loin de la frontière française, d’une manière on ne peut plus rocambolesque, qui ne pourra malheureusement pas être détaillée ici. En plein milieu de la nuit, il prend sa modeste voiture et part en direction du Danemark, pour attraper un ferry.

Une fois arrivé en RFA, il met cap au Sud pour retrouver sa famille en sécurité. Une évasion digne des plus grands films hollywoodiens. Ils sont régularisés un peu plus tard par un ingénieur responsables des motos EMC, le Dr Joe Ehrlich. Entre temps, le clan MZ est furieux. Alors qu’ils étaient en mesure de jouer le titre mondial, l’équipe se retrouve sans pilote. Les dirigeants de l’entreprise sont persuadés que ce dernier a trafiqué son moteur pour ne pas avoir à terminer la course. En Allemagne de l’Est, tout se sait vite. Quelques semaines plus tard, MZ dépose plainte; l’état l’accuse d’avoir abandonné le pays en ayant délibérément cassé sa machine. Immédiatement, sa licence est déchirée. La plainte déposée à la FIM n’aboutit pas, pour le plus grand bonheur d’Ernst et sa famille.

La situation n’est pas stable. Degner sait ce qu’il représentait pour la RDA, et que les hommes de main est-allemands n’ont pas de frontières. L’occasion rêvée se présente quand Suzuki l’approche, en novembre 1961. Direction Hamamatsu, Japon, pour un autre chapitre dans une vie décidément mouvementée. L’expérience acquise chez MZ en matière de deux temps est la clé du succès de Suzuki, quelques mois à peine après son arrivée sur l’archipel. Suzuki se lance à l’assaut des petites catégories en 1962, et Degner remporte le titre de champion du monde 50cc, tout en courant en 125cc. Une victoire historique, puisqu’il s’agit du tout premier titre de la mythique firme japonaise.

 

La 50cc était une catégorie fantastique. Anderson, Anscheidt, Degner, Pagani … Photo : ANEFO

 

Ernst Degner et le Japon, une histoire à part

 

Fin 1962, il prend part au meeting d’inauguration de la piste de Suzuka. Le circuit, très technique, ne laisse pas de place à l’erreur. Au virage n°8, Ernst tombe sans gravité. Les propriétaires décident donc de nommer le virage ‘Courbe Degner’, en l’honneur de la toute première chute de l’histoire du tracé. En 1963, il doit laisser la couronne de champion 50cc à Hugh Anderson, lui aussi sur Suzuki. Ernst n’est cependant pas ridicule, terminant à la troisième place avec un nouveau succès à la clé.

Cependant, le Grand Prix du Japon ne tourne pas à son avantage. C’est alors la toute première fois qu’il est couru à Suzuka dans le cadre du mondial. Degner chute très lourdement dans le premier tour. Le réservoir plein se brise. Une véritable boule de feu s’agite en bord de piste : Le champion est-allemand est à la merci des flammes. Échappant de peu à l’asphyxie, Degner s’en sort dans un sale état. Les commissaires, armés d’extincteurs, réussissent à éviter le pire. Ce jour-là, les dieux de la moto sont avec lui. Le bilan est extrêmement lourd. Les médecins restent dubitatifs quant à son intégrité physique et pour cause : il faut attendre un an et cinquante (!) greffes de peau pour qu’Ernst puisse remonter sur une moto.

Un véritable guerrier de la trempe de Niki Lauda. Lorsqu’il revient, ce n’est pas pour plaisanter. Il figure sur le podium à Monza pour son grand retour, puis remporte le Grand Prix du Japon 125cc un an après le drame. 1965 fut une année mitigée, ponctuée par trois nouvelles victoires et deux quatrièmes places au scratch, catégories 50cc et 125cc. À 34 ans et marqué par les blessures – dont une grave à Monza ‘65, le légendaire est-allemand planifie sa retraite pour 1966. Une dernière danse, courue avec son employeur-sauveur Suzuki. Son visage n’est plus le même, dans tous les sens du terme. Sa femme est partie, et il semble débuter une addiction à la morphine.

 

Ernst Degner, en 1963. Photo : Mat Oxley

 

Sa retraite n’est pas de tout repos. Il travaille alors pour Suzuki-Allemagne en tant qu’importateur à Munich, puis décide de rejoindre Tenerife, dans les Canaries, pour gérer une concession de voitures – et accessoirement prendre le soleil. Coup de tonnerre en 1983, quand l’on apprend par l’intermédiaire de la presse la mort de l’ancienne légende à seulement 51 ans. À ce jour, les causes du décès ne sont toujours pas élucidées. Certains affirment que sa dépendance aux médicaments, imposée par son énorme accident de 1963, eut raison de lui. En revanche, son certificat de décès stipule une crise cardiaque. La piste de l’assassinat politique par la Stasi, dans un contexte de guerre froide, n’a jamais pu être vérifiée, bien entendu. Toujours est-il que le mystère reste entier.

Degner est un cas à part. Son histoire pourrait être relatée au cinéma tant elle est énorme, grande et pleine d’enseignements. Ernst tombait deux fois et se relevait trois fois. Tout n’est pas rose dans son parcours, certes. Le courage d’un homme qui osa dire « non » à son état, véritable régime autoritaire, n’en reste pas moins des plus admirables.

Connaissiez-vous l’histoire oubliée d’Ernst Degner ? Dites-le nous en commentaires !

Photo de couverture : Joop Van Bilsen

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