Si vous avez allumé votre télévision le weekend dernier,
vous n’avez pu que constater le majestueux Grand Prix d’Espagne des
deux officiels KTM. Bien sûr, ils méritent amplement leur analyse
séparée car en cas de confirmation au Mans, nous pourrions bien
avoir à faire à un changement dans la hiérarchie en MotoGP.
Décryptage.
I)
Binder fait du Binder
Revenons d’abord sur la performance de chacun des pilotes. Comment
ne pas débuter par Brad Binder, absolument
impressionnant de maîtrise le samedi comme le dimanche. Alors qu’il
bataillait pour rester au contact de Jack Miller
lors du Sprint, le Sud-Africain nous a offert des séquences de
pilotages complètement anachroniques. On le sait incisif, fort sur
les freins et à l’aise avec l’inconfort, mais à ce point là, c’est
de l’art.
Brad n’a eu que faire de la physique et n’hésitait pas à tout
mettre en travers jusqu’à s’imposer. Attention, ce style de
pilotage n’est que rarement récompensé et il nous apprend deux
choses : premièrement, il s’agit là d’un témoin du changement
d’approche de Binder, auparavant concentré sur la régularité dans
la performance. Le « Binder 2023 »
attaque à outrance, jusqu’à la chute, déjà deux cette saison, et
c’est une bonne chose au vu de la vitesse nécessaire pour s’imposer
de nos jours.
Deuxièmement, en revanche, l’histoire nous enseigne que des
performances comme celles qu’il a livré sont souvent éphémères car
tenir ce niveau d’engagement sur vingt courses est
quasi-impossible et l’exception Marc Márquez confirme la
règle. D’ailleurs, lors du Sprint, Bagnaia le suivait de
près et se rapprochait dangereusement sur les deux derniers tours
en étant bien plus coulé. Hormis cela, sa performance globale
mérite d’être soulignée.
Concernant Jack Miller, sa place peut étonner mais son weekend
n’était pas tant flamboyant. Solide est l’adjectif qui lui
correspond le mieux. Battu en qualifs, en Sprint et en
course, il a manqué de vitesse – et de la confiance de
Binder – pour réellement prétendre à une victoire. Ses
quelques erreurs – à commencer par le dépassement sur Jorge Martín
ou ses défenses hasardeuses au bout de la ligne droite de retour –
lui coûtent mais il apprend encore. Son entame de saison est plus
que satisfaisante même si nous avons quelques réserves quant à son
approche et sa régularité.
Nous sommes obligés de parler de Dani Pedrosa,
auteur d’un beau Grand Prix
d’Espagne. Certes, il faut relativiser en précisant qu’il avait
largement étrenné la piste il y a peu et que globalement, Jerez a
toujours eu ses faveurs. Mais tout de même, sa 7e place est
le meilleur résultat d’une wildcard depuis Michele Pirro au Grand
Prix d’Italie 2019.
II) KTM au niveau de Ducati ?
Passons au gros morceau de cette analyse.
Effectivement, nous pensons que KTM peut devenir le principal
concurrent à Ducati à moyen-terme, et ce, pour plusieurs raisons
que nous allons lister sous forme de points.
1) Ducati, en tant que marque, n’est pas aussi forte qu’en 2022.
L’absence d’Enea Bastianini coûte cher, et son retour à 100 %
n’est pas garanti. Des blessures aussi importantes peuvent altérer
la performance ou la confiance d’un pilote à jamais. Ensuite, la
moto est moins dominante et les résultats dépendent principalement
de Pecco Bagnaia, qui est, sans conteste, le meilleur pilote
actuel.
2) La firme de Borgo Panigale ne peut plus autant compter sur son
équipe-sœur qu’avant. Pramac Racing n’incarne plus
l’energizer, cette structure composée d’outsiders qui peut
dynamiter un weekend entier. Jorge Martín est toujours
vite, mais moins percutant. Idem pour Johann Zarco, encore à côté à
Jerez.
Ce rôle pourrait être pris par le Mooney VR46 Racing
Team, mais l’Andalousie a montré les limites du duo :
Luca Marini est toujours régulier et rapide, mais
Marco Bezzecchi n’y était pas. On le sait, le
rookie de l’année 2022 va tomber encore et encore, son approche
l’impose. Si cela ne désavantage pas tant son bilan statistique, le
total de points de Ducati pourrait en pâtir.
3) Aprilia, autre force du plateau, peine
considérablement. D’une manière générale, Aleix
Espargaró est moins à l’aise avec le nouveau package. Sa
pole position, si elle est belle, est aussi un concours de
circonstances dans des conditions mixtes. Ce n’est pas lui enlever
du mérite que d’affirmer ceci. D’ailleurs, il s’est fait avaler par
le duo KTM sur les quatre départs auquel il a pris part.
Maverick Viñales est habituellement dans le coup mais une
faille mécanique – chaîne cassée – mit fin à ses espoirs le
dimanche. Le danger pourrait venir de l’équipe satellite
RNF, mais là encore, le sort joue contre la firme de Noale. Raúl
Fernández souffre du bras tandis que Miguel
Oliveira, sans doute l’un des meilleurs pilotes actuels,
souffre tout court. Quel chat noir !
4) D’une part, KTM peut profiter de la régression d’Aprilia pour se
rapprocher de Ducati, mais pas seulement. En effet, les Autrichiens
comptent sur un duo dynamique intéressant ;
Brad Binder est « titrable », c’est à dire
qu’il fait partie de cette caste de pilote qui peuvent, dans
l’absolu, être couronnés. Même en l’absence de Tech3 aux
avant-postes (bien qu’Augusto
Fernández soit loin d’être ridicule), la paire
d’officiels peut poser problème mais cela dépend d’un paramètre
bien précis ; la régularité de Jack Miller.
Si l’Australien arrive à corriger ce problème qui traîne depuis
tant d’années pendant que Binder score de gros points même en
tombant davantage, alors KTM pourra, en tant qu’équipe, faire de
l’ombre à Ducati. Son rôle de pilote n°2 capable de jouer des
victoires est unique ; « Jackass » doit absolument
capitaliser là-dessus.
Qu’en pensez-vous ? Ducati doit-il surveiller KTM au
classement constructeurs ? Dites-le nous en
commentaires !
Photo de couverture : Michelin Motorsport