De façon très régulière, et depuis maintenant trois années, Hervé Poncharal nous fait l’honneur de nous partager son point de vue après les Grands Prix (Voir ici).
Écouter ses propos qui sont le fruit d’une expérience de 40 ans
est toujours un plaisir, d’autant que l’homme n’a pas sa langue
dans la poche. Nous vous partageons ainsi ses émotions, qui peuvent
fluctuer, au fil des épreuves, de la déception à la plus grande des
joies, sans pour autant occulter les petits grincements de dents
passagers ou, au contraire, les envolées qui vont bien au-delà du
sport…
Et nous l’en remercions grandement !
Cette fois, après avoir reporté ses réactions à chaud avant Valence et la fin de son parcours avec Yamaha (voir ici et là), nous avons souhaité connaître quel était son état d’esprit après les premiers essais avec les KTM. A froid, et avec du recul…
Accédez à la première partie de l’interview (Test MotoGP KTM) ici
Accédez à la deuxième partie de l’interview (Retour à l’école) ici
Puis est venue la question des 22 Grands Prix évoqués par Carmelo Ezpeleta…
On a récemment vu que Monsieur Carmelo Ezpeleta anticipait un championnat composé de 22 Grands Prix en 2021. Quel est votre point de vue sur le sujet ?
Hervé Poncharal : « vous le savez, j’ai le privilège d’avoir un accès fréquent à Monsieur Carmelo Ezpeleta, que je respecte énormément, et qui a fait, je pense, ce qu’est le MotoGP aujourd’hui. Il a une stratégie claire et une vision. Il a quelquefois été moqué et brocardé, mais aujourd’hui on voit ce que disent certains grands pilotes de la Formule 1 qui est le sport mécanique roi : je pense à Alonso et je pense à Hamilton qui citent toujours le MotoGP comme étant plus fun et l’exemple à suivre. Beaucoup de ces choses sont dues à la stratégie et à la vision à moyen et à long terme qu’à eu Carmelo sur le MotoGP.
Donc oui, je sais qu’aujourd’hui le MotoGP est un championnat qui fonctionne bien et est plutôt dans une phase positive. On le voit en France avec notre épreuve nationale qui est fabuleuse : il y a un nombre de spectateurs en croissance tous les ans grâce à un superbe spectacle. Donc évidemment, il y a beaucoup de pays et d’organisateurs qui voient ce spectacle et le succès qu’il rencontre, et qui ont des demandes de leur population, ça c’est évident, voire de certaines grosses sociétés qui sont des sponsors du championnat, pour en avoir un chez eux. Si demain il n’y avait pas de Grand Prix de France, c’est évident qu’il y aurait des gens qui réclameraient une manche française. Donc de manière tout à fait naturelle, il y a par exemple des gens au Mexique qui aimeraient avoir un Grand Prix chez eux. Ils ont un outil qui est le circuit où a lieu la F1, qu’il faut faire évoluer pour la sécurité et la spécificité du MotoGP, et ils aimeraient cela. Et évidemment, je ne peux pas vous parler de ça sans vous parler de l’Asie du Sud-Est et de l’Indonésie qui est peut-être le pays le plus fan de MotoGP, l’Indonésie ! Ils voient le succès de la Malaisie qui croît d’année en année et ils ont vu le succès fabuleux du premier Grand Prix de Thaïlande, donc ils se disent « pourquoi pas nous ? ». Il y avait en Malaisie et en Thaïlande des gens du gouvernement indonésien, et du ministère de la jeunesse et des sports, qui ont vu ce qui se passait. Ils se disent : « on en veut un ! ». Il y a donc des projets qui sont faits là-bas. Et il y a encore d’autres pays et dont on a parlé dans la presse : le Brésil qui est très demandeur, la Finlande en fonction de l’évolution des travaux, le Kazakhstan, etc., etc.
Aujourd’hui, on a 19 courses. C’est beaucoup mais il y a la demande de plus de pays et on ne peut pas systématiquement dire non. Dieu sait si Carmelo échange avec les équipes et avec les pilotes sur comment faire, puisqu’on a toujours avancé ensemble. Carmelo a toujours cherché à avoir consensus, voire une unanimité, avant de prendre quelle que décision que ce soit. Par contre, il est obligé de partager avec nous tous et de dire « regardez, aujourd’hui, on nous demande d’aller là ». Si le circuit correspond aux normes de sécurité, pourquoi ne pas y aller ? Comme on dit, il faut battre le fer tant qu’il est chaud et c’est maintenant qu’il faut essayer d’avoir un vrai calendrier.
Donc ce qu’on a fait, c’est qu’on a déjà réduit les séances d’essais. Il ne vous a pas échappé que nous avions 3 séances d’essais hivernales l’année dernière avant le début de la saison, en Malaisie, en Thaïlande et au Qatar. On a fait sauter la Thaïlande. Pourquoi ? Parce qu’à un moment donné, on estime qu’on ne peut pas trop demander aux pilotes et aux équipes techniques, car non seulement cela coûte, financièrement parlant, mais cela fatigue et use aussi. C’est plus fatiguant de faire 3 jours d’essais en Malaisie, en Thaïlande ou au Qatar, que de faire un Grand Prix, puisqu’on roule de 10 heures le matin à 18 heures le soir, quasiment sans arrêt. En suivant cette logique, on va donc essayer de faire en sorte qu’il y ait moins d’essais et plus de courses.
Aujourd’hui, dans notre contrat qui court jusqu’en 2021, on a un plafond de 20 courses. On peut aller jusqu’à 20. Il va se renégocier un nouvel accord qui courra de 2022 à 2026, puisque à chaque fois ce sont des accords de 5 ans. Et je pense que dans cet accord là, la Dorna, via Monsieur Carmelo Ezpeleta, mettra un plafond qui passera de 20 à 22. On verra s’il sera atteint ou pas, parce que tout ce dont on a parlé, ce sont pour l’instant des projets. Donc attendons de voir mais il y aura certainement la possibilité d’aller jusqu’à 22. Évidemment, des nouveaux Grands Prix, cela fait des entrées financières plus importantes qui seront redistribuées et aux usines et aux équipes, ce qui permettra peut-être aussi aux équipes techniques de travailler « en tiroir » si elles sont un peu fatiguées : on peut très bien imaginer qu’on ait du personnel en plus et qu’on fasse des roulements, que ce ne soit pas toujours les mêmes qui se déplacent. Je pense qu’on gardera un maximum de 3 courses d’affilée, ce qui est bien, mais par contre on sera peut-être amené à se déplacer sur des périodes plus longues. Ce sont des choses que j’imagine avec vous, mais ceux qui accepteront et qui pourront le faire car ils n’ont pas d’obligation de rentrer chez soi le feront, et pour ceux qui ont besoin de rentrer chez eux, il y aura peut-être une possibilité d’un turnover dans le personnel. Donc, une réorganisation.
En Europe, on a un problème de sous-emploi et de chômage, et peut-être que cette évolution nous permettra d’embaucher encore des jeunes, car Dieu sait si je reçois des CV et que ça me fait mal au cœur de leur répondre qu’on ne peut pas les embaucher pour vivre leur rêve qui est de travailler en Grand Prix. Donc pour moi, il n’y aurait pas de problème particulier : à nous de nous adapter tout en respectant la législation et les besoins normaux et tout à fait compréhensibles des personnes de se reposer et d’avoir une vie privée à côté d’une vie professionnelle, même si elle est leur passion. On arrivera toujours à trouver des solutions et je pense que Carmelo est quelqu’un qui comprend bien toutes ces problématiques. Donc laissons grandir le MotoGP et faisons en sorte que ce soit tenable et acceptable, et par les pilotes, et par les équipes techniques ».
A suivre…
Crédit photo: MotoGP.com