De façon très régulière, et depuis maintenant trois années, Hervé Poncharal nous fait l’honneur de nous partager son point de vue après les Grands Prix (Voir ici).
Écouter ses propos qui sont le fruit d’une expérience de 40 ans
est toujours un plaisir, d’autant que l’homme n’a pas sa langue
dans la poche. Nous vous partageons ainsi ses émotions, qui peuvent
fluctuer, au fil des épreuves, de la déception à la plus grande des
joies, sans pour autant occulter les petits grincements de dents
passagers ou, au contraire, les envolées qui vont bien au-delà du
sport…
Et nous l’en remercions grandement !
Cette fois, après avoir reporté ses réactions à chaud avant Valence et la fin de son parcours avec Yamaha (voir ici et là), nous avons souhaité connaître quel était son état d’esprit après les premiers essais avec les KTM. A froid, et avec du recul…
Hervé Poncharal, pouvez-vous nous dresser un bilan global de vos essais MotoGP à Valence et à Jerez qui constituent le premier pas de votre nouvelle aventure ?
Hervé Poncharal : « comme toute nouvelle aventure qui a été désirée et qu’on attend depuis maintenant plusieurs mois, cela a été un moment très excitant. On sait que l’on s’est engagé des deux côtés pour 3 ans. C’est quand même un bon bout de vie dans l’histoire d’une écurie de compétition. On avait donc la volonté de découvrir en premier lieu les motos, tous les gens qui sont à l’origine de leur développement, tout ceux à l’origine du projet, et de découvrir aussi un tout nouveau pilote chez nous qui est Miguel Oliveira qui arrive du Moto2, et qui venait de gagner la dernière course de sa carrière en Moto2 à Valencia. Et découvrir aussi les commentaires et les sensations d’un pilote qui était déjà chez nous cette année, mais sur une Yamaha, Hafizh Syahrin. On était donc tous très excités et très impatients le lundi. Franchement, on a premièrement été bluffé par la qualité de la réalisation de la moto, ses finitions et la volonté évidente de rechercher à optimiser tous les petits détails. Cela, c’était vraiment bluffant. Une chose qui m’a également fait chaud au cœur est le fait qu’il y a un vrai groupe, puisqu’on a été aidé non seulement par le test team mais aussi par les gens de l’usine qui ont suivi Pol Espargaro et Bradley Smith durant 2 ans. Il y a donc une réelle adhésion de tous ces gens-là, qui ne sont pas seulement, comme cela peut être le cas dans certaines équipes, des gens très qualifiés qui font leur boulot, mais qui sont tous impliqués et motivés par ce projet : tout le monde vit KTM, tout le monde vit orange ! Moi qui suis un européen convaincu, ça fait chaud au cœur de voir que c’était très cosmopolite, puisqu’on avait toutes les nationalités dans notre box : bien sûr des Autrichiens et des Allemands, mais aussi des Espagnols, beaucoup d’Italiens et des Français. J’aime cet esprit cosmopolite, cet engagement de tous ces gens-là et cette adhésion au projet de la part de tous ces gens qui travaillent pour l’usine KTM. Je n’ai pas rencontré ça ailleurs.
Le lundi, on a aussi eu la chance et le plaisir de voir Pit Beirer venir faire un discours dans le box pour expliquer à toute l’équipe la philosophie, la stratégie KTM et et les raisons de l’engagement de KTM aux côtés de Tech3 pour 3 saisons. Et je pense que cela a été hyper bien perçu par tous nos techniciens quels qu’ils soient, du plus jeune au plus capé. En tout cas, c’est quelque chose qui n’est jamais arrivé dans l’histoire de Tech3. Il leur a réitéré le fait que l’on aura les mêmes motos et les mêmes évolutions que l’usine. Pour faire court, ce qui était important c’est que d’abord il pensait que Tech3 pourrait les aider dans l’accélération du développement. Il comptait beaucoup sur Tech3 pour faire partie de cette aventure et la rendre plus performante. Ce qui importe, c’est que ce soit une KTM qui performe : si une KTM gagne, qu’elle soit Tech3 ou usine, ça lui est complètement égal ! Et ça, je pense que c’était quelque chose que tout le monde avait envie d’entendre. À partir du moment où on connaît les règles du jeu, tout le monde se bagarre pour être le plus fort et le plus vite sur la piste, et que le meilleur gagne, sans qu’il y ait des stratégies politico-médiatico-marketing derrière.
Après, au sujet des premiers tests sur la piste, je ne vais pas cacher la vérité aux lecteurs de Paddock-GP, car s’ils m’entendent dire que tout est au mieux dans le meilleur des mondes, alors qu’on est à 2 secondes et demie, ils vont dire que je me fous d’eux et ils auront raison, ou que je suis langue de bois, et ils auront raison. Donc c’est vrai que pour Hafiz Syahrin, et pour Johann Zarco qui n’est pas chez nous, descendre d’une Yamaha et monter sur une KTM est un autre monde qui demande un autre style de pilotage. C’est une moto qui est totalement différente au niveau de sa conception, que ce soit au niveau du moteur ou du châssis. La Yamaha, on sait qu’elle est très facile d’accès. On l’avait vu avec Folger et Zarco début 2017, et on a vu là sur les premiers essais avec Franco Morbidelli et Fabio Quartararo. La Suzuki ressemble maintenant un peu à la Yamaha et on a vu Mir très rapide dès le départ. La Ducati s’est aussi fort civilisée puisqu’on a vu Bagnaia être tout de suite très rapide dessus. Là, il y a une adaptation à faire, claire et évidente. Il ne faut pas le cacher. La moto a du potentiel, mais pour l’instant, que ce soit nos pilotes Syahrin et Oliveira ou même l’équipe technique, on ne la connaît pas assez pour en tirer la quintessence. C’est certain qu ‘on a fait beaucoup de tests, on a essayé beaucoup de solutions et on a un petit peu commencé à cerner la manière dont il faut la régler pour la faire fonctionner. Miguel Oliveira, même si c’est un Rookie, à une perception très fine de tout un tas de paramètres techniques, et ce qui est intéressant, c’est que les commentaires de Johann Zarco et Hafizh Syahrin sont assez similaires, donc ça permet de donner des directions de travail à KTM.
Ça, c’était à Valence où on a eu peu de temps pour faire des tours sur la piste, car chaque pilote n’avait qu’une seule moto et chaque intervention prenait beaucoup de temps puisqu’on ne connaît pas très bien la moto.
On avait donc très envie de continuer à rouler, ce qu’on a fait à Jerez quelques jours plus tard. Je pense qu’on y a bien progressé et on voyait que les pilotes étaient plus « chez eux » sur la moto. Maintenant, il y a encore du travail à faire : pour nous, pour nous adapter, et pour les pilotes, pour comprendre cette moto. On est à 2 secondes et demie, et c’est beaucoup trop loin. Je suis certain qu’on va réduire cet écart, mais c’est beaucoup. On ne va donc pas le réduire avec un claquement de doigts, et on ne sera pas à 2/10 du meilleur temps à Sepang. C’est évident ! La chance que l’on a, c’est que l’on a des gens à l’écoute, qui sont motivés, et j’espère que cela va faire en sorte que cela bouge beaucoup. Pour l’instant, on n’a quasiment rien essayé : on a juste travaillé sur la compréhension de comment exploiter ce matériel. On n’a pas fait d’essais au niveau moteur, châssis, aéro, ou quoi que ce soit.
En résumé, on est heureux de faire partie de ce projet. Avec l’humilité que l’on doit toujours avoir, on pense sincèrement que l’on va pouvoir les aider car il ne faut pas oublier qu’ils ne sont là que depuis 2 ans, ce qui n’est rien par rapport au nombre d’années des autres qui sont devant. Cela va donc prendre du temps et je pense que l’objectif de l’usine pour 2019 et d’être régulièrement avec au moins un pilote dans le top 9 voir le top 8. Cela peut paraître peu ambitieux, mais comme je vous l’ai souvent dit durant l’année, quand on voit la compétitivité de la grille, quand on voit le nombre de binômes pilote-moto qui se tiennent en quelques dixièmes, je pense que si cela se fait à chaque course, ça sera une preuve que la KTM avance et progresse énormément. En tout cas, on est aujourd’hui au début de l’aventure, et le fait qu’il y ait beaucoup de travail devant nous n’est pas démoralisant : au contraire, c’est plutôt excitant ! ».