A l’occasion du Salon Moto Légende, nous avons publié récemment quelques photos du très technologique moteur de la Honda NR 750. Cette moto fabriquée en 1992 était la version de route du prototype de compétition qui a essayé de s’opposer aux deux-temps en 1979 avec des solutions technologiques très novatrice. Voici l’histoire de cette dernière, la Honda NR 500.
Novembre 1977: Honda annonce son retour dans la catégorie reine des 500cc GP, après douze ans d’interruption!
Quelques jours après, Koichi Yanase est nommé à
la tête du Motorcycle Racing Department.
Il est chargé de diriger le projet avec trois objectifs:
[1] Créer une technologie innovante pour la compétition..
[2] Découvrir de jeunes ingénieurs talentueux qui aideraient au
développement de Honda.
[3] Remporter le titre mondial d’ici trois ans.
En janvier 1978, Yanase recrute Takeo Fukui
(alors ingénieur en chef de la recherche au Wako R&D
Center).
Ce dernier commence l’étude du moteur avec Shoichiro
Irimajiri tandis que Yanase se concentre sur l’embauche
d’environ 70 personnes pour mener le projet à bien (on atteindra
une centaine de personnes par la suite).
Shoichiro Irimajiri est un ingénieur
aéronautique qui a intégré Honda en 1963. Pour rappel, il a déjà un
long passé en compétition, avec les titre mondiaux 1965 en 50cc, 2
cylindres, 8 soupapes de Ralph Bryans, en 125cc, 5
cylindres, 20 soupapes de Luigi Taveri, et en
250cc, 6 cylindres, 24 soupapes de Mike Hailwood),
1966 et 1967 toujours avec Mike Hailwood en
250cc.
Excusez du peu !
Un nouveau département est créé et intitulé « NR », pour New
Racing, au centre de recherche de Asaka.
Shoichiro Irimajiri manage, entre autre, trois
ingénieurs beaucoup trop jeunes pour avoir connu les expériences
passées de Honda en compétition, ni d’ailleurs la moindre
compétition. Parmi ceux-ci, Toshimitsu Yoshimura,
qui travaille pour l’entreprise nippone depuis seulement six ans,
s’exprime aujourd’hui : « Nous n’étions pas excités par la
compétition, mais par la volonté de créer quelque chose qui
représenterait la meilleure technologie. Nous voulions créer un
moteur qui surprendrait le monde entier. Nous pensions qu’en créant
le moteur le plus sophistiqué, nous serions victorieux. »
A l’époque, les 4-temps victorieux de MV Agusta ont rendu la main depuis deux ans et les podiums sont trustés par les 2-temps Suzuki et Yamaha développant environ 120 chevaux. Bien que cela ne soit pas un facteur suffisant pour vaincre, l’objectif premier de Honda est donc de dépasser cette puissance.
Toshimitsu Yoshimura est un fervent défenseur du 4-temps : « Quand j’y réfléchis, nos idées étaient un peu folles, que ce soit pour le moteur ou pour le reste. Nous voulions créer la différence qui nous apporterait un avantage définitif et nous sommes passés au 4-temps. Au moins, nous avons fait quelque chose qui était en-dehors des pensées conventionnelles. »
On peut également constater qu’il s’agit là d’un retour aux sources et à une culture d’entreprise propre à satisfaire Soichiro Honda qui n’a jamais caché son mépris des moteurs 2-temps, allant même jusqu’à les qualifier de « troncs de bambous »…
Une fois la décision prise d’utiliser un 4-temps, l’équipe se met au travail à partir de quelques constations simples : Le nombre de cylindres est maintenant limité à quatre et, pour obtenir d’un 4-temps au moins autant de puissance qu’un 2-temps, il faut qu’il tourne deux fois plus vite que ce dernier ! L’idée extraordinaire jaillit donc de créer des pistons appelés « ovales » ou oblongs. Cela permettait de contourner en partie le problème de la limitation du nombre de cylindres tout en offrant théoriquement un meilleur rapport surface du piston/frottements des segments que deux cylindres séparés. Selon les calculs, le moteur doit prendre 23 000 tours/minute et développer 130 chevaux.
Toshimitsu Yoshimura : « Comme nous étions jeunes, nous n’avions pas d’idées préconçues et nous n’avions peur de rien. Nous étions certains que les pistons ovales seraient la clef du succès contre les 2-temps. »
Il subsiste bien quelques doutes quand à l’efficacité de l’admission, l’usinage des pistons et des segments, ou le refroidissement d’un tel moteur, aussi décide-t-on d’expérimenter cette nouvelle forme de piston sur un monocylindre. Dans un premier temps, celui-ci est seulement équipé de deux soupapes.Comme cela semble fonctionner, on l’équipe progressivement de 4 puis de 8 soupapes tout en constatant déjà certains problèmes importants : En fait, le moteur explose si l’on dépasse les 10 000 tr/min !
Les soupapes ne sont pas en cause et les pistons non plus. Il y
a principalement un problème de déformation des deux bielles qui
équipent le piston et qui laissent échapper l’axe du piston.
Grâce à l’aide ponctuelle apportée par le département Honda
Engineering, on en redessine d’autres et on augmente la précision
d’usinage.
Les segments sont également un gros souci. Leur usinage est à la
fois extrêmement compliqué et approximatif. On va même jusqu’à
tester des segments en deux parties « clipsables » pour n’en faire
qu’un.
Après bien des idées et des essais (pistons à 1, 2, 3 ou 4
segments), et en l’absence de machines à commandes numériques, on
usine donc « à la main », et sans relâche, des centaines de
segments pour n’en sélectionner que les meilleurs.
Le travail des usineurs est un vrai casse-tête puisqu’ils doivent
prendre en compte empiriquement la déformation des fragiles pièces
lors de l’usinage pour que leur pression soit constante sur toute
leur circonférence une fois insérés dans le cylindre.
En fait, après coup, on peut affirmer qu’il s’agissait du principal
problème de faisabilité du moteur.
D’ailleurs, leur usinage imparfait posera toujours des soucis en
course : Les motos fumeront beaucoup et auront toujours des
problèmes de démarrage !
Une fois cet écueil franchi et validé sur le monocylindre, on
passe à l’étape suivante.
Le projet a maintenant débuté depuis six mois et la petite équipe
déménage en plein hiver à Nasu Heights et entame l’étude du passage
au quatre cylindres dans un petit hôtel sans chauffage.
Emmitouflés dans des couvertures, les ingénieurs décident
finalement de dessiner un moteur avec un V de 100° baptisé
« 0X ».
Quelques mois plus tard, soit en avril 1979, le moteur débute ses essais au banc.
La boîte de vitesse se coince encore, les soupapes se brisent
souvent, et surtout, le moteur ne développe encore que 110 chevaux,
mais la saison est commencée et la direction commence à
s’impatienter…
On décide alors d’engager les motos en course, quitte à poursuivre
leur développement en conditions réelles.
Consciente des problèmes encore non réglés, l’équipe de Yoshimura
et de Irimajiri ne s’attend pas à faire des miracles et limite la
version course à 100 chevaux à 16 000 tr/min.
Parallèlement, Tadashi Kamiya a fait construire un châssis tout aussi extra ordinaire : avec son carénage semi-monocoque en aluminium, ses 3 radiateurs dont 2 latéraux, ses disques fendus, ses jantes embouties, son saute-vent façon F1 et sa fourche inversée avec séparation des ressorts et des amortisseurs, la partie-cycle est exceptionnellement novatrice!
Cette coque est surnommée « coque de crevette » par
les Japonais eux-mêmes et est constituée d’une feuille d’aluminium
de 1mm pesant 5 kilos au total.
Le moteur s’encastre dedans par l’arrière et est fixé par 18
boulons de 6mm de chaque côté.
Bien que ce ne soit pas encore validé définitivement, les roues sont seulement de 16 pouces, permettant un gain de poids de 4 kilos et un abaissement de 5 cm par rapport aux habituelles roues de 18 pouces.
On finit d’assembler tant bien que mal deux machines et, le 13 juin, elles participent à des essais durant trois jours sur le circuit de Suzuka où, malgré les problèmes , les pilotes Takazumi Katayama et Mick Grant, ainsi que les journalistes, sont dithyrambiques, le Japonais allant même jusqu’à annoncer un peu prématurément: » Je serai champion du Monde en 1980 ! «
Pourtant, les essais sont assez peu satisfaisants : peu de tours
effectués, temps très lents, moteur qui chauffe, suspensions
déficientes, hésitations pour la marque et la taille des pneus
(Dunlop ou Michelin, 18 ou 16 pouces).
On annonce un temps de 4 secondes supérieur à celui d’une Suzuki
500 RG pilotée par un pilote Honda. L’avenir montera que ce dernier
ne devait pas vraiment donner le maximum par peur de déplaire à ses
employeurs…
On expédie aussitôt après les motos pour l’Europe où elles sont acheminées jusqu’à Silverstone pour le 11ème Grand Prix de la saison, le 12 août 1979.
En fait, l’idée de Honda esr de montrer au monde qu’ils sont présents dès cette année, tout en tentant de réellement mettre au point les motos en cours de saison.
Malheureusement, équipées en roues de 16 pouces, les Honda se qualifient difficilement en dernière ligne et leur prestation en course est très décevante : Mick Grant chute au premier virage à cause d’une fuite d’huile sur le pneu arrière et sa moto prend feu sous les yeux de Soichiro Honda !
Takazumi Katayama ne fait guère mieux et abandonne après quatre tours sur problèmes d’allumage…
C’est le choc pour Honda, qui ne pensait pas subir une telle domination des motos concurrentes ! Soichiro Honda et ses gardes du corps japonais n’apprécient guère…
Que va faire le géant de Tokyo face à cet affront humiliant ?
La suite demain…
Sources: Honda, Honda Motorcycle Racing Legend, Honda NR Oval Piston, etc.