Au milieu de saisons dominées par des Rossi, Stoner, Márquez, ou Lorenzo au XXIe siècle, quelques années magnifiques subsistent. Voici le conte de l’une des plus grandes saisons de l’histoire des Grands Prix moto, où cinq pilotes prétendant à la victoire chaque week-end s’affrontent. Voici l’histoire d’un duel entré dans la légende.
Après la victoire totale de Márquez au Sachsenring, il se montre comme l’un des possibles prétendant au titre. Car oui, avant cela, la bataille opposait plutôt Lorenzo à Pedrosa, mais ces derniers, blessés en même temps, n’ont pas pu contenir le talent et la bonne étoile du rookie. D’ailleurs, leurs convalescences les empêchent de faire mieux que cinquième et sixième à Laguna Seca, respectivement. Mais cette course n’est en rien anodine. Un autre pilote s’illustre magnifiquement : Stefan Bradl. Il est l’outsider silencieux depuis le début de saison, mais est toujours très bien placé. Cette fois, il décide de prendre les commandes du Grand Prix, et s’affirme en tant que potentiel vainqueur.
Mais Marc Márquez voit les choses différemment. Auteur d’un départ moyen, il chasse « The Doctor », et n’a pas le choix que de le doubler dans le mythique Corkscrew, ce gauche/droite en descente qui a fait la réputation du court tracé californien. Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser au passage de Rossi sur Stoner ici même en 2008. Similaire, mais loin d’être identique. La Honda Repsol ne fait qu’une bouchée de la Honda LCR de Bradl, mais ce dernier a gagné le respect de beaucoup ce jour-là. En effet, on savait que la différence de performance entre les deux machines était énorme et à l’époque, remporter des courses avec des machines satellites était quasiment impossible.
À l’arrivée, Rossi charrie Márquez, et tout le monde voit cela comme un adoubement, constituant encore un tournant de la saison. L’italien semble avoir choisi son successeur, et couronne ainsi l’Espagnol. Ceci nous prouve ô combien l’histoire peut être ironique. Le rookie entre dans la stratosphère à partir de ce moment précis. Victoire à Indianapolis et à Brno (après une mésaventure de Crutchlow, parti une fois de plus de la pole). Il est maintenant solidement installé. Mais les vieux guerriers ne meurent jamais. Lorenzo se rebelle à Silverstone, au terme d’une course absolument folle.
Il remporte l’avantage psychologique sur son adversaire. En effet, il anticipe le dépassement dans le dernier complexe, et repasse dans l’avant dernier virage, de manière subtile et intelligente. Il rappelle qui est le double champion du monde dans la pièce. Pedrosa empile les bonnes performances, mais n’a jamais semblé revenir dans la course au titre après sa blessure en Allemagne. Malheureusement, ça sera sans lui, une année de plus.
Le duel s’intensifie, et quand Lorenzo croît enfoncer le clou à Misano, Márquez lui répond à Aragón. Les deux hommes ne se lâchent pas d’une semelle, et ne s’apprécient pas tellement. Ils n’hésitent pas à s’envoyer des piques, comme c’est le cas en conférence de presse au Grand Prix de Malaisie (quand on vous parle d’ironie…), où Lorenzo accuse Márquez de rouler dangereusement en particulier sous drapeaux jaunes. Cependant l’avantage est dans le camp du pilote Honda. Lorenzo tente ainsi ce qu’il peut, mais doit se sauver à Phillip Island.
Cette course est particulière. En effet, le nouveau revêtement est trop abrasif pour les pneumatiques Bridgestone. Les instances se grattent le sommet du crâne et donnent les indications : les pilotes devront changer de moto à mi-course, en sautant d’une machine à l’autre. Une course rocambolesque en perspective donc. Les pilotes avaient deux tours pour s’arrêter à mi-course. Lorenzo, en tête, décide de rentrer mais n’est pas suivi par Márquez ! Ce dernier a raté la fenêtre d’arrêt et écope donc d’un drapeau noir. Une erreur bête qui n’est pas directement de son ressort, mais qui lui fait perdre gros. « Por Fuera » prend 25 points secs et remonte comme une balle. Il confirme au Japon, avant dernière manche, mais le natif de Cervera sauve les meubles à la deuxième place. Tout se jouera donc à Valence.
Personne ne veut avoir à jouer un titre à Valence. Au cours de l’histoire, les résultats ont été plus qu’aléatoires, Valentino Rossi peut en témoigner. La journée débute avec la Moto3, qui se décide aussi sur le Ricardo Tormo, une course splendide vient titrer l’un des trois prétendants. Revenons à la catégorie reine. Lorenzo a du retard, beaucoup de retard. Il doit donc gagner, et a besoin d’une contre performance de son rival, qui ne doit pas terminer dans les quatre premiers. Dès les qualifications, la tension monte d’un cran. Les deux sont sur une autre planète, et enchaînent les tours d’anthologie. Le dimanche, l’atmosphère est lourde. Qui d’un rookie génial et bestial ou d’un champion du monde au style inégalé sera titré ?
Les feux s’éteignent. Devant plus de 100 000 personnes, Lorenzo réalise encore l’impossible. Ce dernier essaye de ralentir la course, tout en se maintenant en tête. De cette manière, il espère que son coéquipier pourra se faufiler sur le podium et reléguer Márquez derrière. Pendant plusieurs tours, il agit en bête blessée, en joueur abattant ses dernières cartes ; il donne tout pour rester en tête malgré les assauts des deux Honda. Voyant que la situation ne tourne pas à son avantage, il décide de partir.
Simplement partir. Dans son monde, celui de la gagne, de la victoire à tout prix. Il s’échappe et colle un boulevard à son rival, qui assure la deuxième place. D’ailleurs, dans le dernier tour, Márquez laisse sa place à Pedrosa, peut être par excitation. À 20 ans, il est le nouveau roi du monde, le plus jeune de l’histoire. Jorge Lorenzo passe la ligne en champion, en héros. Il compte huit victoires sur l’année, un record pour quelqu’un qui ne soulève pas le titre.
Cette course est l’une des plus belles, l’une des plus métaphoriques de la carrière du majorquin. Márquez célèbre cela avec ses fans, comme à son habitude. Une saison folle, où chaque supporter aura connu des moments de doutes, de stress, de peur et de joie. Un morceau de temps qui appartient au passé, mais que l’on garde au chaud dans nos cœurs.