Devant la multiplicité des articles relatifs au team Tech3 et à Johann Zarco diffusés en ce moment dans la presse étrangère, nous avons eu l’opportunité de faire le point avec Hervé Poncharal, que ce soit au sujet de l’avenir du pilote français après 2018, mais aussi à celui de la machine qu’il aura à sa disposition la saison prochaine, ainsi que sur l’état de santé de Jonas Folger.
Comme à son habitude, le patron de Tech3 a eu la gentillesse de nous partager ses réponses et sa passion avec moults détails et précisions, aussi diffuserons-nous cette très longue interview en plusieurs parties.
Comme tout semble dépendre de la moto, avant les pilotes et avant les sponsors, avez-vous une idée du planning concernant la décision de Yamaha ?
« Oui ! Quand j’ai commencé à discuter avec eux, on m’a répondu que c’était trop tôt et, à l’époque, au début des négociations, on me disait qu’il fallait plutôt envisager cela au niveau du Mugello ou de Barcelone, c’est-à-dire fin mai ou début juin 2018. Je leur ai dit que c’était un peu tard, c’était acceptable jusqu’à présent, mais maintenant il y a une espèce de fièvre qui s’est emparée du paddock. On se souvient que les contrats 2017/2018 ont été signés très tôt : avant le départ du Grand prix du Qatar, on savait déjà que Bradley Smith serait chez KTM et que Valentino Rossi serait chez Yamaha, ce qui avait d’ailleurs un peu énervé Lorenzo à l’époque. Tout s’accélère en permanence. Et surtout, cette saison 2018 qui va préfigurer les négociations pour le plateau pour 2019 et 2020, elle est hyper importante ! Maintenant, vous avez six usines et il faut que les gros teams sécurisent les pilotes qui sont capables de jouer le titre. Donc tout va s’accélérer encore, et par exemple, j’ai très bien vu les agents de Vinales rentrer un peu dans tous les bureaux pendant le Grand Prix de Valence. Les agents d’autres pilotes également. En fait, des négociations ont déjà commencé et je suis persuadé qu’il y en a qui sont déjà très avancées pour 2019. Donc même si avant, c’était acceptable de discuter fin mai début juin de ce qui allait être ton équipement et ton organisation pour l’année suivante, aujourd’hui, c’est beaucoup trop tard. Suite à ça, les gens de Yamaha, qui sont très ouverts, intelligents et respectueux, m’ont dit que l’on commencerait à discuter de la potentialité d’un renouvellement de notre contrat aux essais de Sepang, fin janvier début février. C’est quand même beaucoup plus dans le timing global. Je n’aurai pas une réponse à ce moment-là, mais j’aurai quand même un peu une tendance, parce que je sais très bien qu’ils veulent rester avec Tech3. Je le sais. Par contre, ils m’ont toujours dit que ce serait très compliqué pour eux, vu leur organisation actuelle, d’avoir six motos. Donc je pense qu’ils auront à ce moment-là une idée beaucoup plus claire que ce qu’elle était au dernier Grand Prix à Valence, de ce que va faire Valentino. Et nous, on est quand même très dépendants de ça. »
Ensuite, viennent les pilotes ou les sponsors ?
« Vous savez, c’est toujours pareil, et ce que je vais vous dire, tous les teams managers pourraient vous le dire : un moment donné, il faut que tu saches et que tu sécurises le matériel que tu auras. Une fois que tu sais le matériel que tu auras, il faut que tu ailles voir les pilotes et que tu signes avec eux. Et quand tu as une idée précise de ce que tu as, entre guillemets, à vendre aux sponsors, c’est-à-dire que tu peux dire « j’ai Johann Zarco et Jonas Folger sur des Yamaha M1 d’un an d’âge, est-ce que ça vous intéresse et est-ce qu’on peut commencer à discuter des deux saisons suivantes ? ». Et tant que je n’ai pas le matériel quasi confirmé, et tant que je n’ai pas les pilotes quasi confirmés, je ne peux pas aller voir les sponsors. Eux, ce qui les intéresse, c’est de savoir si tu as un matériel performant et de savoir si tu as des pilotes performants. Parfois aussi, à pilotes de même niveau, ils aiment bien avoir leur mot à dire, en fonction de leur nationalité, de leur profil ou de leur âge. Mais il faut que tu aies cette base quasiment sécurisée pour pouvoir discuter avec eux, sans ça, tu vas leur vendre du vent, et personne n’achète du vent ! »
Avant d’aborder la dernière question qui concernera la moto qu’aura Johann Zarco l’année prochaine, préoccupons-nous de l’humain : quelles sont les dernières nouvelles concernant Jonas Folger ?
« C’est quelque chose qui est très difficile à
appréhender. Ce n’est pas la pire des choses, car la pire des
choses, c’est d’avoir quelqu’un qui termine handicapé, ou pire,
comme Marco Simoncelli, Luis Salom ou Shoya Tomizawa. Mais ça, je
n’ai pas envie d’en parler car c’est une horreur. Mais c’est quand
même quelque chose qui est très très dur à gérer, et pour le pilote
et pour son équipe, parce que tu n’as pas de diagnostic ferme sur
lequel s’appuyer quant à l’étendue des dégâts, entre guillemets. Et
tu n’as personne qui peut te donner un délai ferme sur lequel tu
peux t’appuyer pour revenir à 100 %. Et il y en a même qui te
disent qu’on ne sait pas s’il va revenir à 100 %. Ces trucs là,
c’est quand même extrêmement compliqué. Après, les gens se
plaignent de ne pas avoir de nouvelles, et moi le premier,
j’aimerais bien en avoir. Mais comme les choses ne sont pas très
claires, à l’inverse par exemple d’une jambe cassée, et que l’état
physique influe sur le mental, cela me soucie un peu. Parce que
quand tu te retrouves aussi à plat, aussi vidé que ça, quand ton
job c’est d’être au top de ta forme physique pour pouvoir
performer, c’est sûr que quelque part ça te déprime. Alors je ne
dis pas qu’il est en dépression, mais ça doit être déprimant. Et tu
ne sais pas le laps de temps qu’il faut, si jamais tu vas te
retrouver, et quelle est la réelle méthode pour le faire. Parce
qu’on lui dit de ne rien faire, mais ces gars là, depuis le début,
on leur dit de s’entraîner, d’être actif et en permanence au top de
leur forme physique. Donc quand tu leur dis de rester dans leur
sofa et de ne surtout pas bouger, c’est compliqué.
Pour l’instant, les gens qui le suivent me disent que ça suit son
cours, et qu’il devrait être à 100 % aux alentours de Noël, date à
laquelle il va pouvoir re commencer à s’entraîner. Mais pour
vraiment répondre à la question de savoir s’il est complètement
remis, il faudra attendre Sepang. Non seulement de voir ce qu’il
fait sur un tour lancé, parce que je pense qu’il faudra un peu
d’accoutumance pendant les deux premiers jours qui vont être
compliqués pour lui. Mais il faudra voir si le troisième jour il
est encore capable de rouler dans des bons chronos. De toute façon,
même s’il est un peu loin de Johann les premiers jours, il y a
encore les séances en Thaïlande puis au Qatar.
Mais j’ai choisi Jonas Folger alors qu’il n’avait pas un parcours absolument brillantissime parce qu’il m’a séduit par rapport à tout un tas de choses que j’ai pu voir du bord de la piste pendant ses années 125, Moto3 et Moto2. Et j’y crois ! Quand je l’ai vu faire ce qu’il a fait à Barcelone, avec le record du tour en course, mais surtout en Allemagne, ce n’est pas par hasard : il n’y a pas eu de chute en Allemagne ! Ça a été le seul à avoir poussé Márquez et Marquez a dit que ce jour là, on l’avait poussé comme on l’avait rarement poussé. Jonas voulait vraiment gagner cette course avant la pause estivale, donc on sait que ce gars là a vraiment un potentiel énorme. Et cette année, avec Johann et lui, on avait une équipe qui aurait pu casser la baraque tous les week-ends, comme l’a quasiment fait Johann, mais on aurait pu le faire avec les deux pilotes. On a eu énormément de réussite avec Johann mais on a eu la malchance que Jonas attrape cette espèce de virus. Ça fait partie de la vie, mais j’y crois dur comme fer ! Parce qu’on a bien vu ce qu’on fait Nozane, Parkes ou van der Mark : ce sont de super pilotes, au top de leur condition physique, mais il n’y en a pas un seul qui a été dans les points. Jonas, même quand il n’était pas en forme, il finissait dans les 10. J’espère vraiment qu’il va retrouver le niveau qu’il avait avant la pause estivale. »
Comment interprétez-vous le fait que, pendant son rétablissement, il n’y ait quasiment aucun contact direct entre vous et lui ?
« Jonas a toujours été quelqu’un de très secret et de très
solitaire. Même quand tout allait bien, il était peu enclin à
contacter. Quand il envoyait un petit message, wahou, c’était déjà
un événement ! Ce n’est pas quelqu’un qui communique beaucoup.
Il y a parfois des pilotes qui ont besoin de communiquer sans cesse
mais je pense que Jonas est plus à se retirer au fin fond de sa
Bavière, avec sa chérie et deux ou trois personnes autour de lui
qui l’aident à traverser cette mauvaise passe. C’est son caractère.
Maintenant, oui, c’est vrai que tu as toujours tendance à vouloir
que les autres réagissent comme toi. Personnellement, je parle
beaucoup, je communique beaucoup, et si j’avais été à sa place,
j’aurais sans arrêt téléphoné pour savoir comment s’est passée la
séance, comment s’est passée la course, qu’est-ce qu’il a dit de ma
moto, qu’est-ce que j’aurais comme moto comme évolution, etc.
Mais ça, c’est parce que je transpose ma personnalité sur Jonas
Folger. Dans son cas, je ferais ça. Mais on est tous différents et
il faut accepter le fait que Jonas n’est pas comme ça. Encore une
fois, ce que je veux, c’est qu’il soit heureux dans sa vie, bien
dans sa tête, qu’il récupère sa capacité physique et qu’on le
retrouve en forme à Sepang. Vous savez, s’il fait trois jours
d’essais superbes à Sepang, tout cela ne sera plus que de
l’histoire ancienne, et pas importante du tout. »
A suivre…