Après que l’associé, le manager, le conseiller et l’ami de Johann Zarco nous ait entretenu de l’évolution de leur Ecole Z&F Grand Prix (voir ici), voici maintenant comment les deux hommes ont vécu ensemble l’année 2017, et comment se présente la saison suivante.
Quand Johann Zarco, assisté de Laurent Fellon, a battu à Yamaha égales Valentino Rossi et Maverick Vinales lors du dernier Grand Prix à Valence, ça a quand même posé questions : Johann deuxième à 0.3 du vainqueur Dani Pedrosa, Rossi cinquième à 13.8, et Vinales douzième à 35 secondes. Les pilotes officiels Yamaha étaient tellement loin qu’à moto égales, quelle était l’explication de ces gigantesques écarts ?
Pour Laurent, « Valentino Rossi est très doué et
travailleur. Maverick Vinales est très doué. Quand il est passé de
la Suzuki à la Yamaha, il a fait tous les Grands Prix devant. Un
moment, il est arrivé au bout de ce qu’il pouvait tirer de la moto
et il s’est perdu. Et quand il s’est perdu, plutôt que de mettre la
faute sur lui-même, il l’a mise sur la moto. Valentino fait à son
âge un travail extraordinaire et il a encore gagné un Grand Prix à
39 ans, quand Biaggi était déjà en Superbike au même âge. A ce
moment-là, Vinales et Valentino ne se sont pas attendus à ce qu’a
fait Johann avec la Yamaha et ça leur a un peu coupé les jambes.
Puis ça a fait boule de neige quand les médias ont tout mis sur le
dos de la moto. »
« La force de Johann a été son travail. Peut-être que
d’autres ont été plus doués que lui, mais la confiance mutuelle et
le respect entre nous ont aussi été importants. J’aime bien toutes
ces valeurs. Il faut aussi comprendre qu’il faut faire des
sacrifices. Il faut d’abord penser à la passion de la moto,
pas à l’argent en priorité. Il faut avoir une certaine
détermination, un rêve, une flamme qui brille. »
On a vu cette année l’éclosion de deux pilotes « normaux », Johann et Andrea Dovizioso. Ce conformisme, par rapport à d’autres pilotes nettement plus exubérants (Iannone, Miller, Redding, Crutchlow, etc), est-il un signe des temps, et une tendance amenée à se développer ?
« Dovizioso est un garçon très fort, mais d’autres comme Valentino aussi : je me rappelle qu’en 1998 ou 1999, Rossi a fait à Jerez sur une 125 Aprilia une pendule de 1’49, ce qui était phénoménal pour l’époque. Maintenant, avec l’électronique, le matériel rentre moins en compte qu’avant. »
Johann a-t-il profité en début de saison de l’effet de surprise ?
« La Yamaha est une très bonne moto, et des pilotes sont arrivés à un niveau élevé dès leurs premières courses en 500, comme Valentino et Biaggi. Johann et Marquez ont été Champions en Moto2, et ils ont été là de suite en MotoGP. C’est une logique : quand tu es bien programmé et formé, tu arrives à faire des résultats. »
Marc Marquez a gagné 6 GP pour son année de rookie en MotoGP, Kenny Roberts 4, Valentino Rossi et Max Biaggi 2, sans remonter à la préhistoire avec Geoff Duke (3) ou John Surtees (3). Ils disposaient tous d’une moto d’usine. Avec une moto satellite, Casey Stoner pour son année de rookie en 2006 a réalisé une deuxième place et une pole position. La comparaison est-elle positive pour Johann, avec ses deux poles et ses deux deuxièmes places ?
« Pour la 125 cm3, on a joué le titre sur 3 ans. Pour
la Moto2, ça a pris un peu plus de temps, mais on a été deux fois
Champions du Monde. Ce qu’a fait Johann avec la M1, c’est très bien
et c’est logique, mais il faut continuer. C’est pour ça que j’ai
signé avec Hervé dès le Grand Prix de France, pour s’assurer que
Johann n’ait pas besoin de changer d’équipe, puis qu’il dispose
l’année suivante de la moto d’usine. Après il faut que tout le
monde reste motivé et qu’il n’y ait pas une mauvaise surprise de la
vie. On a de l’expérience, qui sert toujours. »
Hervé Poncharal a récemment déclaré qu’il lui serait difficile de garder Johann en 2019. Qu’en penses-tu ?
« L’usine, c’est no limite. Ce sont d’autres moyens.
Quand KTM fait un bon moteur, ils l’envoient par avion spécial.
Hervé ne peut pas faire ça, le pauvre, car c’est une équipe
satellite. Il y a un certains nombres d’années, une équipe
satellite pouvait être Championne du Monde. C’est fini. Quand tu es
Honda ou Yamaha usine, c’est no limite. Au dernier test, il y avait
sept motos pour Valentino. Quand tu veux vraiment y arriver, rien
ne t’arrête. Une moto d’usine, c’est une moto d’usine.
»
Sur quelle Yamaha roulera Johann l’an prochain ?
« Je pense qu’il roulera sur une 2017. Après, je ne peux pas te répondre plus précisément. C’est plutôt à Hervé Poncharal ou Guy Coulon d’en parler. »
« Moi je suis là pour entraîner Johann, gérer sa
société et faire le maximum pour lui, notamment au niveau des
sponsors. »
Quelle est la différence entre le Johann extrêmement courtois et agréable, dans le cadre d’une conversation, et celui qui pousse un peu légèrement avec son carénage quand il est en piste ?
… (Long silence) « Il a grandi, il a mûri, il a vieilli, il a appris des choses, il se formate, et voilà. Quand Marquez était petit il était combatif, et il l’est toujours autant. »
Donc Johann n’a pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds ?
« Je ne le pense pas. Mais il faut faire attention à tout. Un pilote est très délicat et sensible. Ce n’est pas une machine. »
Photo © Tech 3